31/10/2016
Paysages d'automne, photos Chantal Tanet
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15/02/2012
Erich Fried, Es ist was es ist (C'est ce que c'est), traduction C. Tanet, M. Hohmann
Mais peut-être
Mes grandes paroles
ne me protègeront pas de la mort
et mes petites paroles
ne me protègeront pas de la mort
absolument aucune parole
et le silence entre
les grandes et les petites paroles
ne me protègera pas davantage de la mort
Mais peut-être
quelques-unes
de ces paroles
et peut-être
en particulier les plus petites
ou encore le silence seul
entre les paroles
protègeront quelques-uns de la mort
quand je serai mort
Aber vielleicht
Meine großen Worte
werden mich nicht vor dem Tod schützen
und meine kleinen Worte
werden mich nicht vor dem Tod schützen
überhaupt kein Wort
und auch nicht das Schweigen zwischen
den großen und kleinen Worten
wird mich vor dem Tod schützen
Aber vielleicht
werden einige
von diesen Worten
und vielleicht
besonders die kleineren
oder auch nur das Schweigen
zwischen den Worten
einige vor dem Tod schützen
wenn ich tot bin
Pouvoir de la poésie
« Ton poème génial
ne sera pas seulement très utile
et rendra la traversée plus sûre
que jamais
parce qu’il avertit sans faillir
de la présence d’icebergs
sur une mer apparemment libre
mais
grâce à la beauté de ta description
des icebergs et de la houle
et du choc
entre la nature sauvage
et l’homme son vainqueur
il te rendra aussi immortel ! »
Voilà à peu près ce qu’aurait dit
une jeune fille
à un jeune poète
en le regardant
extasiée
dans le salon du navire
la veille de la fin de la traversée
à en croire un témoin
dont ces paroles ne purent sortir de la tête
ensuite après la catastrophe
ni après son sauvetage
dans un de ces canots
surchargés
Macht der Dichtung
Dein geniales Gedicht
wird nicht nur sehr nützlich sein
und die Seefahrt sicherer machen
als je bisher
weil es so unüberhörbar
vor Eisbergen warnt
auf scheinbar offener See
sondern es wird
dank der Schönheit deiner Beschreibung
der Eisberge und der Wogen
und des Zusammenstoßes
zwischen der wilden Natur
und ihrem Besieger Mensch
auch dich unsterblich machen!»
Das etwa soll ein Mädchen
zu einem jungen Dichter
gesagt haben
den sie dabei
schwärmerisch ansah
im Schiffssalon
am Tag vor dem Ende der Fahrt
laut Bericht eines Zuhörers
dem die Worte dann nach dem Unglück
nicht aus dem Kopf gingen
auch nicht nach seiner Bergung
aus einem der überfüllten
Rettungsboote
Congé
Le bien
s’envole désormais
là
où tout
ne sombre pas toujours
dans le passé
mais où chaque jour
se lève
et se couche
comme le soleil
Abschied
Das Gute
fliegt jetzt davon
dorthin
wo alles
nicht immer
in die Vergangenheit fällt
sondern täglich
auf-
und untergeht
wie die Sonne
Erich Fried, poèmes extraits de Es ist was es ist (Verlag Klaus Wagenbach, Berlin, 1983), traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.
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01/08/2011
Pierre Silvain, Assise devant la mer (recension par Chantal Tanet)
Après Julien Letrouvé colporteur, publié chez le même éditeur, Assise devant la mer se lit d’un seul souffle comme un long poème en prose. Récit par le découpage en chapitres titrés et séquencés, par le recours à la matière autobiographique qui semble nous conduire d’un point à un autre d’ « une vie antérieure » — une enfance de colons au Maroc. Mais le travail de l’écriture, le phrasé musical de Pierre Silvain détournent le lecteur de toute construction romanesque, de toute linéarité, lui laissant l’illusion de reconstituer une complexe ordonnance du temps, de saisir par touches successives une série de « scènes primitives ».
La première de ces scènes, fondatrice, ouvre et clôt un livre bâti autour de deux personnages sans nom, « la mère » et « l’enfant ». Saisie par le regard — la mémoire — aigu de l’enfant, la mère se tient assise face à l’infini de la mer, fixée à son insu et à jamais par l’enfant tapi, loin en retrait, dans un creux de sable. La distance physique entre eux deux, exacerbée par le détournement (le ravissement) de la mère, est source d’angoisse dès lors qu’une vague plus forte pourrait soustraire la mère au regard de l’enfant dont le cri est alors recouvert par le bruit de la mer. « C’est ce que l’enfant peut-être s’imagine, croit tout près de s’accomplir, il voit se dresser une masse d’eau d’un bleu laiteux à sa crête, qui se recourbe aussitôt en avant et déferle dans un écroulement d’écume plein d’éclats de soleil, glisse sur le sable dont la rapide inclinaison amortit l’élan, l’épuise jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une onde inoffensive, la pointe baveuse d’une langue d’animal dompté venant lécher l’orteil de la mère. » Dans l’acte final, cette scène inscrite depuis bien longtemps dans le catalogue des rêves, ou plutôt des cauchemars de l’enfant, est livrée par l’adulte depuis longtemps séparé de sa mère.
Entre ces deux séquences se déploie un souple maillage de regards en abyme. Regards de l’enfant sur la mère — vers la mer — en miroir ; sur le sexe et la mort apprivoisés, sur l’autre soi rattrapé par le temps. La scène initiale, qui donne son titre au récit, a son propre miroir dans celle de la mort de la mère, survenue devant une fenêtre découpée sur le temps suspendu, comme si la mort était l’instant où cesse l’attente, où le regard de l’un se heurte au vide de l’autre.
Au bout du compte, la phrase longue et cadencée de Pierre Silvain fait émerger de ce jeu de regards, du bleu intense de la mer, des murs blancs de la maison d’enfance, une étrange figure. Duelle, fusionnelle, mère-enfant dont le narrateur – « l’enfant » devenu « je » dans les toutes dernières pages – ne sait plus si c’est d’elle ou de lui en elle dont il parle. D’une manière comparable aux Vagues de Virginia Woolf, où l’agencement rythmé des monologues intérieurs évoque le flux et le reflux de la mer, Assise devant la mer est traversé d’une vision récurrente, légère et grave à la fois. Le grand corps maternel, l’océan primordial, agrippé du regard par l’enfant, résiste et cède tour à tour à la séparation, à l’enfouissement dans « l’étendue dormante de l’océan, la plage vide, l’éclat du ciel ».
Pierre Silvain, Assise devant la mer, Verdier, 2009, 14 €.
©Photo Tristan Hordé, 2007.
Une version ce cette recension a été publiée en septembre 2009.
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13/06/2011
Erich Fried, Es ist was es ist (C'est ce que c'est), traduction C. Tanet, M. Hohmann
Sterbeleben
Ich sterbe immerzu
und immeroffen
Ich sterbe immerfort
und immer hier
Ich sterbe immer einmal
und immer ein Mal
Ich sterbe immer wieder
Ich sterbe wie ich lebe
Ich lebe manchmal hinauf
und manchmal hinunter
Ich sterbe manchmal hinunter
und manchmal hinauf
Woran ich sterbe?
Am Haß
und an der Liebe
an der Gleichgültigkeit
an der Fülle
und an der Not
An der Leere einer Nacht
am Inhalt eines Tages
immer einmal an uns
und immer wieder an ihnen
Ich sterbe an dir
und ich sterbe an mir
Ich sterbe an einigen Kreuzen
Ich sterbe in einer Falle
Ich sterbe an der Arbeit
Ich sterbe am Weg
Ich sterbe am Zuvieltun
und am Zuwenigtun
Ich sterbe so lange
bis ich gestorben bin
Wer sagt
daß ich sterbe?
Ich sterbe nie
sondern lebe
Le vivre mourir
Je meurs toujours et sans cesse
et toujours à découvert
Je meurs toujours et toujours
et toujours ici
Je meurs toujours une fois
et toujours chaque fois
Je meurs continûment
Je meurs comme je vis
Parfois j’escalade la vie
et parfois je la dégringole
Parfois je dégringole la mort
et parfois je l’escalade
De quoi je meurs ?
De la haine
et de l’amour
de l’indifférence
de l’abondance
et de la misère
Du vide d’une nuit
du contenu d’un jour
de nous toujours une fois
et encore toujours d’eux
Je meurs de toi
et je meurs de moi
Je meurs de quelques croix
Je meurs dans un piège
Je meurs du travail
Je meurs du chemin
Je meurs du trop à faire
et du trop peu à faire
Je meurs aussi longtemps
que je ne suis pas mort
Qui dit
que je meurs ?
Jamais je ne meurs
bien au contraire je vis
Erich Fried, Sterbeleben, extrait de Es ist was es ist (Verlag Klaus Wagenbach, Berlin, 1983). Traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.
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17/04/2011
Jaromír TYPLT, Ce murmure insistant... (traduction C. Tanet et J. Typlt)
To naráží řeč
Ležím
na podloží
sotva slyšitelných
drnčení a hukotů.
Sotva slyšitelných,
ale vytrvalých. Prosazují se
a odspodu do mě vnikají,
přenášejí se na mě, lehce,
ale velmi velmi lehce
mě
pobolívají.
Jako by něco drhlo
mezi stropem a podlahou,
někde tam, kde se od sebe ještě nedají rozeznat.
Zvlášť to vysoké,
málem až jasné,
chvílemi přerušované
chvění.
To naráží řeč.
Asi spolu o patro níž mluví ženské.
Ce murmure insistant
Je suis allongé
sur une couche
de vibrations et de bruissements
à peine audibles.
À peine audibles
mais continus. Ils forcent le chemin,
me pénètrent par en-dessous,
me rabotent, doucement
mais très, très doucement
me
blessent.
Comme si quelque chose se frayait
un passage
entre plancher et plafond,
dans un entre-deux.
Surtout ce frémissement
sonore,
presque clair,
parfois discontinu.
Ce murmure insistant,
comme un bavardage féminin venant d’en bas.
Jaromír Typlt, To naráží řeč, in revue Souvislosti, 01/2009 ; repris dans anthologie Nejlepší české básně 2009 ("Les meilleurs poèmes tchèques 2009"), édition Host, Brno 2010. ©Traduction inédite Chantal Tanet, avec le concours de l'auteur.
Jaromír Typlt (né en 1973 à Nova Paka, Bohème), après des études de philosophie à Prague, s’est installé à Liberec où il a tenu une galerie d’art contemporain et de photographie jusqu’en 2010. Son œuvre littéraire, menée parallèlement et publiée à partir de 1991, fait alterner prose et poésie. En 1994, il reçoit le prix Jirí Orten qui récompense les jeunes auteurs.
Avec des artistes comme Jan Měřička, il crée aussi des livres-objets (že ne zas až, 2003). Il publie également des essais critiques sur des écrivains et des artistes tchèques. À partir de 1999, il développe la « lecture mutante d’auteur », fondée sur des voix enregistrées, les rythmes de la langue, et aussi sur des objets trouvés et des mouvements scéniques. (À écouter : stáhnout mp3 )
Les premières traductions françaises de Jaromír Typlt ont été réalisées par Jérôme Boyon. Voir : http://www.typlt.cz/index.php?content=poesie-fr
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05/04/2011
Nadja Einzmann, Alors non je ne peux pas dire non (traduction Chantal Tanet)
Da kann ich nicht nein sagen
Mein Liebster ist einer, auf den zu warten sich lohnt. Er mag mich, und das genügt mir. Da bin ich gerne sein Haus und sein Hof und prüfe das Dach und öle die Tür, tagein, tagaus, und warte. Es ist eine Nacht, in der er so zu mir kommen wird, übers Feld, und die Sterne werden dröhnen und der Mond pubbern und pulsen, meinem Liebsten zur Begrüßung. Noch lebt er unter anderem Himmel und forscht und strebt und leckt sich die Zungenspitze wund zwischen den Büchern, er hat es mir oft geschrieben. Da kann ich nicht nein sagen und beiseite treten und lasse ihn nicht vorbei: in einer anderen Stadt einer anderen Frau. Da kann ich nicht nein sagen. Und so einen Liebsten hätte ein jeder gern und hat er ihn nicht, erträumt er ihn. Ich sehe zum Fenster hinaus und sehe ihn kommen, ein Schatten auf dem Weg. Und der Kies wird knirschen unter seinen Füßen, und meine Hand, gestützt auf die Fensterbank, wird schwer werden, meine wartende Hand.
Alors non je ne peux pas dire non
Mon bien-aimé est de ceux qui méritent qu’on les attende. Il m’aime, et ça me suffit. Alors je me plais à être sa maison et son foyer et j’en vérifie le toit et huile la porte, jour après jour, et j’attends. Une nuit, mon bien-aimé viendra ainsi vers moi, à travers la campagne, et les étoiles se feront carillon et la lune tam-tam et pulsation pour lui souhaiter la bienvenue. Il vit encore sous d’autres cieux et fouille et cherche ardemment et feuillette des livres à s’en écorcher le bout de la langue. Il me l’a souvent écrit. Alors non je ne peux pas dire non ni prendre mes distances ni le laisser passer : dans une autre ville une autre femme. Alors non je ne peux pas dire non. Et puis tout le monde voudrait un pareil bien-aimé et ne l’ayant pas, le rêve. Je regarde par la fenêtre et le vois venir, une ombre sur le chemin. Et le gravier crissera sous ses pas, et ma main, appuyée sur le rebord de la fenêtre, se fera lourde, ma main en attente.
Nadja Einzmann, Da kann ich nicht nein sagen, Geschichten von der Liebe, S. Fisher Verlag, 2001, p. 18. Traduction inédite de Chantal Tanet.
Nadja Einzmann, écrivaine allemande née en 1974, vit à Francfort où elle a fait des études d’allemand et d’histoire de l’art. Elle a publié des récits et des poèmes dans des revues et anthologies, ainsi que deux livres chez S. Fisher-Verlag : Da kann ich nicht nein sagen. Geschichten von der Liebe (2001) et Dies und das und das. Porträts (2006).Elle a obtenu plusieurs prix littéraires, notamment pour Da kann ich nicht nein sagen en 2002 et le prix d’encouragement Hölderlin de la ville de Bad Homburg en 2007.
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21/03/2011
Erich Fried, Zukunft? / Avenir ? (traduction Chantal Tanet et Michael Hohmann)
Zukunft?
In Hiroshima und Nagasaki schmolz der
Straßenstaub stellenweise zu einer glasigen Masse
Die Sonne ist die Sonne
Der Baum ist ein Baum
Der Staub ist Staub
Ich bin ich du bist du
Die Sonne wird Sonne sein
Der Baum wird Asche sein
Der Staub wird Glas sein
Ich und du werden Staub sein
Die Sonne bleibt die Sonne
Der Baum darf nicht Asche sein
Der Staub soll nicht Glas sein
Ich will nicht Staub sein
Du willst nicht Staub sein
Wir wollen nicht Staub sein
Sie wollen nicht Staub sein
Aber was tun wir alle?
Avenir ?
À Hiroshima et Nagasaki la poussière des rues
a fondu par endroits en une masse informe
Le soleil est le soleil
L’arbre est un arbre
La poussière est poussière
Je suis moi tu es toi
Le soleil sera soleil
L’arbre sera cendre
La poussière sera verre
Moi et toi serons poussière
Le soleil reste le soleil
L’arbre n’a pas le droit d’être cendre
La poussière ne doit pas être verre
Je ne veux pas être poussière
Tu ne veux pas être poussière
Nous ne voulons pas être poussière
Ils ne veulent pas être poussière
Mais que faisons-nous tous ?
Erich Fried, Zukunft?, extrait de Es ist was es ist, Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 1983 ; rééd., 2005, page 63. Traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.
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