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01/07/2011

André du Bouchet, La lampe dans la lumière aride (2)

André du Bouchet, poésie, écrire, la lampe dans la lumière aride(Poésie : se rappeler la nuit le matin)

 

Deux poètes, deux poésies :

celle qui s’élabore tandis que le héros reste muet, les mots du silence, celle qui emboîte la parole au héros.

 

Le courage, la volonté d’écrire, n’est autre que de se résigner à se décider à se servir de ces mots défaillants, sans y voir d’avantage ou d’issue immédiate. La mémoire, seule, si faible, dit que ce                                           labeur servira.

                                         les mots défaillants

                                         tous défaillants, tremblants, comme moi,

                                         comme ce bras à nouveau saisi de paralysé

 

Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de bleu vif orange qui éclaboussaient l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait aux mêmes rochers, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme ces tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L'écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ. Pierraille.

pan de pierres écroulées. Mur dur sourd aveugle au-dessus du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

Le soc rougi qui laboure la terre.

Lumière aigre de la première lampe au fond du village

                                                           au centre des toits.

 

La poésie tire son obscurité de cet effort de transvaser les qualités des choses dans le langage — refusant de les évoquer directement — comme si elles pouvaient exister en dehors de celui qui parle.

 

Écrire

Parler de la terre. Parler aux hommes, parler, autant se parler à soi-même. On ne sort pas de l’homme. Le reste passe. Et pourtant les seuls êtres différents de soi que l’on puisse concevoir, ce sont les hommes.

Poésie : quand la réalité commence à déserter les images qu’elle a charroyées, et qu’elles apparaissent nues et seules.

Les images nues qu’il faut ramener à la réalité,

         légèrement différentes de la réalité première.

 

Les faits de la réalité trouvent, s’ils sont bien observés, de merveilleuses sonorités dans les mots.

 

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 67, 80, 82-83, 91, 93, 96, 99.

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