28/08/2017
Jean Richepin, La Chanson des gueux
Épitaphe pour n’importe qui
On ne sait pourquoi cet homme prit naissance.
Et pourquoi mourut-il ? On ne l’a pas connu.
Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chance
Partit comme il était venu.
La gaîté, le chagrin, l’espérance, la crainte,
Ensemble ou tour à tour ont fait battre son cœur.
Ses lèvres n’ignoraient le rire ni la crainte.
Son œil fut sincère et moqueur.
Il mangeait, il buvait, il dormait ; puis, morose
Recommençait encor dormir, boire et manger ;
Et chaque jour c’était toujours la même chose,
La même chose pour changer.
Il fit le bien, et vit que c’était des chimères.
Il fit le mal ; le mal le laissa sans remords.
Il avait des amis ; amitiés éphémères !
Des ennemis ; mais ils sont morts.
Il aima. Son amour d’une autre fut suivie,
Et de plusieurs. Sur tout le dégout vint d’asseoir.
Et cet homme a passé comme passe la ie :
Entrez, sortez, et puis bonsoir !
Jean Richepin, La Chanson des gueux, Orphée/ La
Différence, 1990, p. 99.
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