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04/03/2013

Jacques Borel, Sur les murs du temps

Jacques Borel, Sur les murs du temps, l'ombre dans le jardin, la rose

     L'ombre dans le jardin

 

Que faire encore en ce jardin, et que fait-il encore en moi ?

Des bûchers toujours plus nombreux crépitent de l'autre côté

De l'infranchissable frontière où les oiseaux vannent le vent

Et l'odeur des herbes brûlées par des étrangers sans visage

Épargne-t-elle encore la rose dont le fantôme me défend ?

 

_ Ah, y eut-il jamais une première fois ?

Mes yeux ont-ils jamais une première fois

Surpris cette ombre sur le mur qui n'était pas là tout à l'heure

Ou ce nuage mal caché débordant l'échine du toit ?

Le sable a-t-il craqué, ai-je levé la tête,

Et ai-je ramené ma main sur ma poitrine

Comme si une longue écharde venait de m'entrer dans le cœur ?

 

Ô treillis, ô jardin fermé, haies de souffles et de murmures,

Tout était là depuis toujours, tout était là au même instant,

Les mêmes yeux vous reflétaient, roulis sauvages de roseaux,

Noces fugaces dans le ciel d'une fumée et d'un oiseau,

Et cette crispation soudain d'un petit scorpion dans le sable ;

Je n'ai pas eu à dénouer mes doigts fermés sur une rose

Pour surprendre un autre secret surgi vers le soir par mégarde :

Avant même cette ombre d'aile, avant le feu, avant la faulx,

Il était là l'autre sourire, l'adieu aux lèvres de rosée,

Et la même écharde brûlant dans un cœur promis aux images

Le fiançait déjà tout entier à la grande rose éternelle.

 

Jacques Borel, Sur les murs du temps, Le temps qu'il fait, 1989, p. 45-46.

27/04/2012

Hilda Doolittle, Le jardin près de la mer

hilda_doolittle.jpg

                              Nuit

 

La nuit a séparé

l'un de l'autre

et recroquevillé les pétales

sur le dos de la tige

et dessous, en rangs crépus ;

 

dessous, sans  défaillir,

dessous, jusqu'à ce que les peaux se fendent,

et sur le dos de la tige, jusqu'à ce que chaque feuille

s'en détache à force de pencher ;

 

dessous, avec sévérité,

dessous, jusqu'à ce que les feuilles

soient recourbées,

jusqu'à ce qu'elles tombent sur le sol,

courbées jusqu'à ce qu'elles soient brisées.

 

O nuit,

tu prends les pétales

des roses dans ta main,

mais tu laisses le cœur nu

de la rose

périr sur la branche.

 

 

                               Night

 

The night has cut

each from each

and curled the petals

back from the stalk

and under it in crisp rows ;

 

under at an unfaltering pace,

under till the rinds break,

back till each bent leaf

is parted from its stalk ;

 

under at a grave pace,

under till the leaves

are bent back

till they drop upon the earth,

back till they are all broken.

 

O night,

you take the petals

ot the roses in your hand,

but leave the stark core

of the rose

to perish on the branch.

 

H[ilda] D[oolittle], Le jardin près de la mer, traduit

de l'anglais et présenté par Jean-Paul Auxeméry,

Orphée / La Différence, 1992, p. 99 et 98.