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27/11/2012

Gérard Titus-Carmel, Ici rien n'est présent

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                                    Angle mort

J'appuie le front contre ma paume, le coude bien planté au bord du monde et, les yeux grand ouverts, je disparais lentement en moi.

 

Pourtant ma mémoire pèse de tout son poids, cherchant un point d'équilibre entre ce qu'elle tisonne infiniment et ce qu'elle s'obstine à oublier. La conque amie de la main devient alors tiédeur et confidence, que la nuit seule parvient à distraire Mais déjà au silence de mon corps j'ai gagné une contrée, une terre d'innocence. Et j'attends.

 

(L'attente, c'est cet animal sans nom, recroquevillé dans le contre-jour de la chambre, comme à l'angle perdu de la nuque : il tremble de tous ses membres sans que cela se voie vraiment, et c'est pitié. Mais les murs se resserrent autour de lui, qui n'est plus que boule et terreur.

 

Et je m'avance dans l'attente, c'est-à-dire vers l'ombre de la bête innommée, suffocante.

 [...]

Gérard Titus-Carmel, "Angle mort", dans Ici rien n'est présent, Champ Vallon, 2003, p. 49-50.

21/10/2012

Gérard Titus-Carmel, Ici rien n'est présent

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                             Angle mort

                                   (récit)

 

   J'appuie le front contre ma paume, le coude bien planté au bord du monde et, les yeux grands ouverts, je disparais lentement en moi.

 

   Pourtant ma mémoire pèse de tout son poids, cherchant un point d'équilibre entre ce qu'elle tisonne infiniment et ce qu'elle s'obstine à oublier. La conque amie de la main devient alors tiédeur et confidence, que la nuit seule parvient à distraire. Mais déjà au silence de mon corps j'ai gagné une contrée, une terre d'innocence. Et j'attends.

 

   (L'attente, c'est cet animal sans nom, recroquevillé dans le contre-jour de la chambre, comme à l'angle perdu de la nuque : il tremble de tous ses membres, sans que cela se voie vraiment, et c'est pire. Mais les murs se resserrent autour de lui, qui n'est plus que boule et terreur.)

 

Et je m'avance dans l'attente, c'est-à-dire vers l'ombre de la bête innommée, suffocante.

[...]

 

Gérard Titus-Carmel, Ici rien n'est présent, Champ Vallon, 2003, p. 49-50.

16/10/2012

Jacques Roubaud, Quelque chose noir

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                                                Envoi

 

   S'attacher à la mort comme telle, y reconnaître l'avidité d'un réel, c'était avouer qu'il est dans la langue, et dans toutes ses constructions, quelque chose dont je n'étais plus responsable.

 

Or, c'est là ce que personne ne supporte plus mal. Où sont les insignes de l'élection individuelle sinon en ce qu'un ordre vous est obéissant, avec ses raisons de langue.

 

La mort n'est pas une propriété distinctive, telle qu'à jamais les êtres qui ne la présenteraient pas, à jamais s'excluraient des décomptes.

 

Ni les Trônes, ni les Puissances, ni les Principautés, ni l'Âme du Monde en ses Constellations.

 

Cela que pourtant tu t'efforçais de frayer, par photons évaporants, par solarisation de ta nudité précise.

 

La transcription réussie, l'ombre ne devait être nulle part appuyée plus qu'en ce lieu où le soleil avait poussé l'évidence jusqu'au point de conclure : le lit, de fesses qui s'écartent en brûlant.

 

Or, et c'est là ce que personne ne tolère plus mal, l'écriture de la lumière ne réclame pas l'assentiment.

 

Pour qui sait lire, seuls les limbes de l'entente.

 

Et le soleil, qui t'empaquetait entre deux vitres.


 Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 93-94.