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01/03/2015

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

 

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Lied aux ombres d’hiver

 

Un matin le vent traverse les cendres

Du jeune jour maigre et ce sont

Comme d’anciens temps gris qui recommencent

Où sans rimes ni raisons

Nous vivions de beau silence

Et de belle folie.

 

Tu me regardes et si je te délie

Maintenant des chanvres de froide pluie

Sans doute vas-tu sourire et que luise

un instant l’âme lointaine j’épuise

Au souffle court ce vieil été d’aubes moisies

 

Tu n’échapperas plus au verger de mes mains

Le ciel gris passe entier parmi les doigts des morts

Ensemble souviens-toi de cette forêt torte

Nous l’avons fait pencher jusqu’aux eaux du matin

Je me souviens je t’aime et me souviens

 

Il y avait encore une prairie

Fleurie de larmes et d’abandons

Nous en avons sur nous fermé la grille

Est-il passé depuis tant de saisons ?

Sommes rentrés dedans mille et mille matins

Depuis le temps le temps que je t’ouvre mes mains.

 

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, « Le Chemin », Gallimard, 1964, p. 45.

08/06/2012

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

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                   Chant du chien

 

Saint François et la Fontaine

Essenine et Supervielle !

C'est ce chien de Salabreuil

Avec sa pelisse en deuil

Qui vous jappe cantilène

Au bord du poème obscur

Depuis sa niche d'étoiles

Et l'ombre à son souffle impur

Se replie au creux du monde

Quelle honte quelle honte

Vous êtes en plein soleil

Et des lambeaux de sommeil

Faseyent sur vos épaules

Quand passe dans la nue molle

Un tourbillon d'or poisseux

Mais voici que parmi ceux

Qui se lèvent tôt sur terre

Vous prêtez à la lumière

Votre oreille en papier blanc

Et ma voix de chien descend

Noire depuis cette vie

Sur ces fleurs qu'elle déplie

Comme fait l'aube au printemps

Avec celles éclatantes

De vieux pommiers pour qu'y entre

Le bourdon lourd et en creux

Du jeune orage d'avril

Ne soyez pas mécontents

Ce chien fou avec sa queue

Fouette ce n'est pas facile

Un lait d'astres poussiéreux

Non sans mouches et taons bleus

Souvenez-vous l'air s'attarde

Un soir de mauvaise garde

À l'odeur de foin coupé

Dans des profondeurs sans âge

Puis l'os long d'un paysage

Un peu de lune à laper

Qu'on nous jette de la route

Bouillon triste maigre croûte

Pour que meure la chanson

Au mâchis des rogatons

Mais c'est à minuit

Que hurle le jeune chien

Moi j'ai peur et le vent tourne

Autour de tout et de rien

Et je le sens qui me flatte

Soulève abaisse ma patte

Je grogne de vieille peur

J'aboie après des lueurs

Vagabondes qui m'entraînent

Ayant rompu toutes chaînes

Pardonnez-moi de toujours

Vous cherchez au lin du jour

Me lamenter à vos trousses

Quand votre mort est si douce

Et si grand votre plaisir

À marcher seul et n'offrir

Plus aucun chant au silence

Pardonnez-moi ma constance

À vous suivre et vous trouver

Ma gueule jamais lavée

Mes ongles rongés de boue

Lorsque je me tiens debout

À votre épaule très chaude

Ma langue pend j'ai faim l'ode

Mauvaise me met en soif

Que toute une vie radieuse

Me fut donnée mais lépreuse

La fis pour mourir au coin

Noir du paradis des chiens.

 

Jean-Philippe Salabreuil, La Liberté des feuilles,

collection "Le Chemin", Gallimard, 1964,

p. 63-65.

15/01/2012

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

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              26 décembre 1962

 

 

Désespoir en un mot qui ne tinte jamais

Par les prairies brumeuses du poème

On ne voyait dans l’ombre qu’ombres silencieuses

Qui marchent qui s’écartent et renouent quand il gèle

 

Averse blanche de la lune comme d’une âme

Un peu de neige ou le trop plein d’une fontaine

Et le désespéré chantait encore à la Noël

Pour ce qu’il y découvrait déjà d’aubes lointaines

 

Mais ce parfum d’avril au pied des pins la femme

Odorante aux résines de lumière et tel

Un soleil vivace l’enfant qui pardonne ses branches mortes

À l’aubépine ô veillées de la mort maintenant que m’importe ?

 

 

                    Je suis là

 

Vous me croyez vivant

Je laisse mes yeux ouverts

Je regarde la nuit

Et je sais pour vous plaire

Y poster deux hiboux

Je les poudre d’étoiles

Et les chemins sont fleuves

Entre berges de boue

Je suis là je murmure

Et ces mots vous comprennent

Comme comprend le vent

Ce mélèze où nous sommes

Inondés de fraîcheur

Mais moi je suis ailleurs

Je ne suis pas vivant

Je suis mort et transi

Je ne suis pas ici

Simplement je vous parle

Et vous écoutez sans savoir

Combien ces choses sont lointaines

Combien me font ces feuillages d’ennui

Qui nous dépassent dans la nuit

Et demain seront les traces

De mes pas dans l’autre nuit.

 

 

 

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, Gallimard, « Le Chemin », 1964, p. 51 et 9.