01/01/2021
Wislawa Szymborska (1923-2012), De la mort sans exagérer
Photo Anna Kaczmarz
Buffo
D’abord notre amour passera,
puis un siècle, un autre siècle,
puis, nous serons réunis :
comédienne et comédien,
favoris du grand public,
au théâtre on nous jouera.
Petite farce avec couplets :
quelques danses, éclats de rire,
Bien saisies, les mœurs de l’époque,
sous vos applaudissements.
Tu seras irrésistible
sur scène, avec ta cravate
et tes crises de jalousie.
Ma tête toute retournée,
ma tête, mon cœur couronnés,
cœur stupide qui se brise,
couronne qui roule par terre.
Nous quitterons, nous retrouverons,
toute la salle rire nous ferons,
sept rivières, sept montagnes
entre nous érigerons.
Comme si nous n’avions pas assez
de douleurs, et de défaites
— de paroles nous achèverons.
À la fin nous saluerons
et la farce sera finie.
Et les gens iront dormir
contents d’avoir bien ri.
Eux, vivront comme des images,
dompteront l’amour. Le tigre
dans la main leur mangera.
Et nous toujours Dieu sait quoi,
bouffons de clochettes coiffés,
écoutant d’oreille barbare
leur tintamarre.
Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,
Poèmes 1957-2009, traduction du polonais
Piotr Kaminski, Poésie/Gallimard, 2018, p. 13-14.
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