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10/11/2014

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer

                 Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, frère, nuit, savoir, solitude

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

 

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

rien de ce tourment qui m'épuisait

comme la poésie qui portait mon âme,

rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs

qui me précipitent dans l'abîme.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

que j'ai dû traverser à gué comme le fleuve

dont les âmes sont depuis longtemps étranglées par les mers,    

et tu ne sais rien de cette formule magique

que notre Lune m'a révélé entre les branches mortes

comme un fruit de printemps.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,

qui me chassait à travers des forêts plus grande que la terre,

 

qui m'apprenait à voir des soleils se lever et se coucher

 

dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,

du trouble qui tourmentait le mortier,

rien de Shakespeare et du crâne brillant

qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,

qui roulait jusqu'aux blanches côtes,

au-delà de la guerre et de la pourriture avec des éclats de rire.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

car ton sommeil passait par les troncs fatigués

 

de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.

 

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, traduit de l'allemand et présenté par Suzanne Hommel, "Orphée" / La Différence, 2012, p. 47.