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14/05/2014

Pascal Quignard, Petits traités, III

                                                                 Petits traités, I à VIII

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                                XVIIe traité. Liber

 

   Le terme de livre ne peut être défini. Objet sans essence. Petit bâtiment qui n'est pas universel.

 

   La "réunion de feuilles servant de support à un texte imprimé, cousues ensemble, et placées sous une couverture commune" ne le définit pas. Ce que les Grecs et les Romains déroulaient sous leurs yeux, les tablettes d'argile que consignait Sumer, les bandes de papyrus encollées de l'Égypte, les carreaux de soie de la Chine, ce que les médiévaux enchaînaient à des pupitres et qu'ils étaient impuissants à porter sur leurs genoux, ou à tenir entre les mains, les microfilms qu'entassent les universités américaines, des feuilles de palmier séchées et frottées d'huile, des lamelles de bambou, des briques, un bout de papier, une pierre usée, un petit carré de peau, une plaque d'ivoire, un socle de bronze, une pelure d'écorce, des tessons, — rien de ce que l'usage de ces matières requiert ne s'éloigne sans doute à proprement parler de la lecture, mais rien ne vient s'assembler tout à coup sous la forme plus générale ou plus essentielle du "livre". Même, l'adhésion de tous les traits hétérogènes que ces objets présentent ­ cette addition ne le constituerait pas.

 

   Les critères qui le définissent ne le définissent pas.

 

   Le livre est ce qui supporte l'écriture. Mais le petit papier manuscrit (la petite feuille volante) ne constitue pas un livre.

 

Le livre renvoie à une métamorphose qui supplée son écriture manuelle. Mais tout ce que les éditeurs font imprimer, mettent dans d'immenses silos, diffusent et vendent sous ce nom, c'est loin de définir un livre.

[...]

 

Pascal Quignard, Petits traités, III, Maeght, 1992, p. 37-39.

 

 

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VENDREDI 16 MAI 2014

à 20 h

à L’Observatoire du livre et de l’écrit « Le MOTif »

6, villa Marcel-Lods

Passage de l’Atlas

75019 Paris

 

 

 

05/12/2012

Jean Bollack, une traduction de Sappho

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En hommage à Jean Bollack, philosophe, philologue et critique, décédé le mardi 4 décembre 2012.

On trouvera une biographie et une bibliographie sur le site www. jeanbollack.fr

 

Une traduction de Sappho par Jean Bollack :

 

Aphrodite, sur ton siège chatoyant, immortelle,

Fille de Zeus, tressant des pièges,

Souveraine, je te supplie, ne paralyse pas mon esprit, ni dans la lassitude,

Ni dans la souffrance.


Viens ici. Une autre fois, à un autre moment,

Tu as entendu mes paroles au loin,

Et tu m’as écouté. Tu as quitté la demeure en or

De ton père, et tu es venue.

Tu as attelé ton char ; ils se sont faits beaux, les rapides

Moineaux, qui te conduisaient autour de la terre noire,

Tournant dru ; le tourbillon de leurs ailes est parti du centre

Du ciel, traversant l’éther.

En un instant, ils étaient là. Et toi, la bienheureuse,

Avec tout le sourire d’un visage d’immortelle

Tu m’as demandé ce que je subissais encore, et ce qui

Encore faisait que je t’appelle,

Et ce que c’est que je veux le plus qu’il m’arrive

Dans mon esprit en délire.  « Qui est-ce qu’encore je dois

Persuader de te conduire, toi aussi, dans ton amour ?

Qui est-ce

dis, ô Sappho, qui te maltraite ?

 

C’est sûr : si elle évite, vite elle courra après

Et si elle refusait les cadeaux, elle en donnera.

Et si elle n’aime pas, vite elle aimera,

Serait-ce contre sa volonté ».

 

Viens à moi, maintenant aussi, et libère-moi de mes atroces

Soucis, et tout ce dont mon esprit

Désire l’achèvement, achève-le. Et toi, en personne,

Sois mon alliée.

(Sappho, fragment 1 Lobel- Page)

© Photo Tristan Hordé. Jean Bollack en avril 2010.