22/04/2014
Maine de Biran, Journal intime (1792-1817)
C'est une chose singulière pour un homme réfléchi et qui s'étudie, de suivre les diverses modifications par lesquelles il passe. Dans un jour, dans une heure même, ces modifications sont quelquefois si opposées qu'on douterait si on est bien la même personne. Je conçois qu'à tel état du corps répond toujours tel état de l'âme, et que tout dans notre machine étant dans une fluctuation continuelle, il est impossible que nous restions un quart d 'heure dans la même situation absolue d'esprit. Aussi suis-je bien persuadé que ce que l'on appelle coups de la fortune contribue généralement beaucoup moins à notre mal-être, à notre inquiétude, que les dérangements insensibles (parce qu'ils ne sont pas accompagnés de douleurs) qu'éprouve par diverses causes notre frêle machine. Mais peu d'hommes s'étudient assez pour se convaincre de cette vérité. Lorsque le défaut d'équilibre des fluides et des solides les rend chagrins et mélancoliques, ils attribuent ce qu'ils éprouvent à des causes étrangères, et, parce que leur imagination montée sur le ton lugubre ne leur retrace que des objets affligeants, ils pensent que la cause de leur chagrin est dans les objets mêmes.
Maine de Biran, Journal intime (1792-1817), avec un avant-propos, une introduction et des notes de A. de la Valette-Monbrun, Plon, 1927, p. 56-57.
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