20/05/2013
Jean-Louis Giovannoni, L'invention de l'espace
L'invention de l'espace
I
Tout est un intérieur
et reste à jamais
cet intérieur.
Car rien ne doit sortir
de sa forme.
Rien ne doit se tenir
en dehors.
Rien ne doit se franchir
prendre corps
dans le corps des autres.
Aucun corps
n'a droit au corps
de ce qu'il n'est pas.
Toute chose
doit se tenir en elle-même.
Toute chose
doit se contenir
ne prendre que sa forme
n'occuper que sa place
n'être pas plus qu'elle ne doit.
Surtout
ne pas se détacher
du lieu
imparti à son corps.
Tout doit rester
ce qu'il est
et ne rien ajouter.
En ce monde
tout est déjà trop prononcé.
Tout est bien trop présent
trop au bord
toujours trop poussé
par l'envie de sortir
de prendre la place d'un autre
de gagner en volume
en surface
en espace
en oxygène.
Tout est un intérieur
et doit le rester.
Imaginez
l'espace
avec des choses
ne tenant pas leur intérieur.
Des choses
ne sachant plus
où se tient leur seuil
le côté à ne pas franchir.
Des choses toujours trop pleines
ne pouvant se soustraire.
Des choses
qui menacent de fracturer
de contaminer
l'espace.
Des choses
qui soumettraient
qui réduiraient les autres
par excès de corps
de présence.
Imaginez
tout ce monde
enfermé dans son corps
rêvant de proliférer
d'envahir
de pousser ailleurs
de se multiplier
dans le corps des autres
d'être au présent
de toute chose.
Tout ce monde
impatient
qui n'en peut plus
de se contenir
d'avoir son dedans
dans le dedans de l'espace
sans jamais pouvoir se dégager
sans jamais trouver la faille
le moindre passage
pour s'écouler ailleurs
s'infiltrer dans l'autre
et le faire sien.
[...]
Jean-Louis Giovannoni, Ce lieu que les pierres regardent, suivi de Variations, Pas japonais, L'invention de l'espace, préface de Gisèle Berkman, Lettres vives, 2009, p. 147-154.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-louis giovannoni, l'invention de l'espace, gisèle berkman, corps, lieu, dedans, dehors | Facebook |
Les commentaires sont fermés.