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27/05/2011

Jacques Ancet, Chronique d'un égarement

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[…]

Ce qu’on appelle la beauté. Pour dire ce qui s’échappe. Quelque chose qui n’est ni les feuilles, ni la lumière ni les couleurs mais l’instant de leur rencontre. Comme l’oiseau et son cri ou la main et son ombre. Un suspens de celui qui parle au milieu de ses mots. Je ne dis plus rien. Mais sur la joue, je mets en joue :

   Tu joues

    Je mets du jeu.

    Du je ?

    Du jeu. Le je n’y est pour rien.


[…]

 

Parce que je suis perdu, le jour recommence.
Sinon, il serait son nom, simplement. Je ne le verrais pas. Je ne dirais que ce
que j’en sais. C’est-à-dire pas grand-chose. Mais là : ce qui tombe, monte, traverse le regard ; ce qui brille, s’éteint ; ce qui tremble ou s’obstine. Se taire pour parler mieux ? Deux heures dix. Quelle somme de souffrance, dis-tu. Ça, c’est aussi le jour. Tous ces cris. On n’y voit plus. Comment tout faire tenir ensemble ? L’odeur et les pommes, le rouge et le sang. Oui, je suis perdu mais je vois quelque chose.

[…]


Je suis perdu entre l’entre rien et tout. Je me cherche sans jamais me trouver. Je compte, mais j’ai perdu les nombres. Je parle, mais je n’ai plus de bouche. Je suis là, mais je suis perdu. Je dis c’est moi, mais je n’ai plus de nom. Moins je vois, plus je regarde. Les choses s’épèlent une à une : chaise, lampe, frigo, jardin. Moins j’entends, plus j’écoute : grésillement, silence et, quelque part, ce bruit que je ne reconnais pas. Moins je sais, plus j’avance. L’espace est un peu d’air, une rue où je marche toujours, un bougé de feuilles, un jour que j’ai fini par oublier.

[…]

 

La beauté recommence. À chaque fois, c’est comme si elle m’ôtait les mots de la bouche. Le ciel fume sur la montagne, l’eau scintille hors de son nom. Dans la bouteille de celle qui boit brille un infime soleil. Petite nature, dit la voix. Tais-toi, répond l’autre. Le vent ressemble à un visage.

 

   Qu’est-ce que tu cherches ?

   Ce que je trouve.

 

Les corps multiplient l’instant. Jeux d’ombre et de lumière. Puis le soir vient dans les couleurs. Je suis perdu. Serait-ce la beauté ?



Jacques Ancet, Chronique d’un égarement, Lettres vives, 2011, p. 32, 33, 97 et 103.



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