24/03/2018
Walter Benjamin, Sur le haschich
29 septembre [1928] samedi Marseille
À 7 heures du soir j’ai pris du haschisch après avoir longuement hésité. La journée, j’avais été à Aix. Je ne note ce qui va éventuellement suivre que pour constater que si des effets se produisent, étant donné que ma solitude ne me permet pour ainsi dire pas d’autre contrôle. À côté de moi, un petit enfant pleure, ça me dérange. Je pense que trois quarts d’heure se sont déjà écoulés. Mais pourtant c’est seulement une demi-heure. Par conséquent… Car abstraction faite d’un très léger malaise, je ne sens rien. J’étais sur le lit, je lisais et je fumais. En face de moi, toujours cette vue sur le centre de Marseille. (À présent les images commencent à exercer leur emprise sur moi.) La rue que j’ai vue si souvent est pour moi comme la coupure qu’un couteau a tracée. [...]
Je dois remarquer ici de manière générale : la solitude de telles ivresses a son revers. Pour ne parler que de l'aspect physique, il y a eu un instant dans le café du port où une violente pression sur le diaphragme a cherché apaisement dans un chantonnement. Et en outre il ne fait aucun doute que beaucoup de choses belles et éclairantes ne se sont pas éveillées. Mais par ailleurs la solitude agit ensuite comme un filtre ; ce qu'on rédige le jour suivant est davantage qu'une énumération d'expériences vécues de quelques secondes ; l'ivresse se distingue dans la nuit de l'expérience de jour par ses beaux contours prismatiques, elle forme une sorte de figure et elle est plus mémorable que d'ordinaire.
Walter Benjamin, Sur le haschisch, traduction Jran-François Poirier, Titres / P.O.L, 2011, p 42 et 49.
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