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16/05/2018

Jean Tardieu,On vient chercher Monsieur Jean

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                         Une bouteille à la mer

 

   Aussi loin que je remonte dans ma mémoire, c'est-à-dire jusqu'à ces moments privilégiés où un enfant commence à prendre conscience de lui-même et de ce qui l'entoure, il me semble avoir toujours entendu une certaine voix qui résonnait en moi, mais à une grande distance, dans l'espace et dans le temps.

   Cette voix ne s'exprimait pas en un langage connu. Elle avait le ton de la parole humaine mais ne ressemblait ni à ma propre voix ni à celle des gens qui me connaissent. Elle ne m'était pourtant pas étrangère, car elle semblait avoir une sorte de sollicitude à mon égard, une sollicitude tantôt bienveillante et rassurante, tantôt sévère, grondeuse, pleine de reproches et même de colère.

   Les moments où j'entendais cette voix étaient ceux où ma vie paraissait suspendue dans le vide, interrompue, arrêtée, comme une horloge dont on ne voit plus bouger les aiguilles et dont on n'entend plus le battement.

   Cette expérience très ancienne, primitive, sauvage, surtout secrète (car je n'en parlais à personne), s'est reproduite souvent au cours de mon existence, mais jamais elle n'a été aussi expressive, aussi intense que pendant mon extrême jeunesse, car rien ne pouvait alors en fausser la signification : elle résonnait dans une étendue absolument vacante, absolument solitaire.

 

                                     Jean Tardieu, On vient chercher Monsieur Jean, Gallimard, 1990, p. 95-96.         

 

29/03/2012

Giorgio de Chirico, Poèmes

 

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            Souvenir d'enfance

 

Il me souvient d'avoir vu souvent,

La ville entière tourner par là

Où se tournait le vent

 

                                Mélancolie

 

Lourde d'amour et de chagrin

mon âme se traîne

comme une chatte blessée

— Beauté des longues cheminées rouges

Fumée solide

Un train siffle. Le mur

Deux artichauts de fer me regardent.

 

J'avais un but. Le pavillon ne claque plus

— Bonheur, bonheur, je te cherche —

Un petit vieillard si doux chantait doucement

une chanson d'amour

Le chant se perdit dans le bruit

de la foule et des machines

Et mes chants et mes larmes se perdront aussi

dans tes cercles horribles

ô éternité.

 

Giorgio de Chirico, Poèmes [Poesie], présentés par Jean-Charles Vegliante, Solin, 1981, p. 56, 25.

Giorgio de Chirico, Autoportrait, 1953.