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04/05/2015

Joé Bousquet, La neige d'un autre âge

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   Elle ne regarde plus le miroir ancien, où elle recomposait son visage et le fardait en attendant le train de la première heure, mais s’assied chaque fois, en face de cette eau verdâtre, qui ne reçoit plus de rayons de la fenêtre voisine. On dirait qu’elle en affronte le regard, maintenant que je maintiens une obscurité perpétuelle dans la chambre où elle voyait autrefois se lever le jour.

   Je ne sais comment elle est entrée. Peut-être avais-je l’esprit ailleurs. Ou sa présence et la mienne s’enchantent mutuellement et détruisent ensemble le peu d’attention qu’il m’avait fallu pour ouvrir une lettre, pour ranimer une photo. Même attendue, elle surprend toujours mes yeux par un éclat que mes souvenirs ne retiennent pas. Et j’avais longuement espéré de la voir... on dirait qu’elle m’apparaît alors que, de dépit, je me suis quitté moi-même.

   Ses gants de peau claire sont ouverts sur mon lit, entre elle, qui lit en cachette un de mes cahiers, et le chevet de mon lit où vient de disparaître une ombre qui nous séparait.

[...]

 

 

Joé Bousquet, La neige d’un autre âge, Le cercle du livre, 1952, p.  25-26.

04/08/2012

Michel Leiris, Mots sans mémoire

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Marrons sculptés pour Miró

 

               1

 

Les poches veuves de cailloux blancs,

viens-nous-en

où va la ligne qui s'envole

sans avoir à jeter du lest

 

               2

 

Ciel   comme celui du lit

étoile   comme celle de la mer

cardinal   comme le gentil oiseau que dénomme

             sa couleur]

chinois   à l'eau-de-vie

 

               3

 

Quelque chose de l'ordre d'un feu frais

ou d'un désert surpeuplé.

À chaque battement d'horloge

roses des sables et flambées de plumes

jaillissent du creuset de ses doigts

et marquent le vide à son chiffre.

 

              4

 

Le tubercule n'a-t-il pas ses lagunes

ses estuaires,

ses deltas et ses fleuves côtiers ?

Celui qui lâche des cerfs-volants

aux quatre coins de l'azur

n'a que faire de l'autre face de la lune.

 

[...]

 

Michel Leiris, Mots sans mémoire, Gallimard, 1969,

p. 135-138.