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15/06/2011

Jean Tardieu, Da capo, Margeries

La voix

 

imgres-2.jpegIl me semble avoir, toute ma vie, entendu une certaine voix, étrangère à moi-même et pourtant très intime, qui me parle par intermittence et ne peut pas ou ne sait pas,  ou ne veut pas me dire tout ce qu’elle sait. Un guide quelquefois, parfois aussi un abîme, un conseil dangereux, mais toujours une vérité revenue de très loin, exigeante et irréfutable, une sorte de démon de la conscience, de la connaissance (ou plutôt de l’inconnaissance), m’imposant le devoir absolu de transcrire avec soin, ses injonctions, ses plaintes et même ses menaces.

Lorsque à mon tour, c’est moi qui interroge et qui demande : « Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? », cette voix ne répond pas, mais elle a du moins le pouvoir de me communiquer une certitude obscure : c’est que (peut-être dans ce monde, peut-être hors de ce monde), il existe une région sereine et innocente où tout est su, compris et consommé d’avance. Où la rencontre d’un seul avec tous est non seulement possible mais attendue depuis toujours. Au-delà de toute vie et de tout déclin, de toute présence et de toute absence, de toute joie, de toute douleur, au-delà même de toute parole, une « réconciliation » avec ce qui nous dépasse et nous dévore. La fusion et le retour des êtres séparés qui se retrouvent dans l’unité, dans l’absence originelle.

 

Jean Tardieu, Da capo, Gallimard, 1995, p. 35.

 

 

La tête vide

 


Dans les chemins creux et perdus

je suis homme parmi les hommes

Point d’ombre plus haute que moi

point d’écho plus long que la voix

j’ai l’épaisseur de la surface

 

Plus léger que feuille d’automne

sous le murmure de l’oubli

qui passe à travers les mains vides

habillé de soleil

et d’incompréhensible

silence dans les branches.

(1944)

 

Jean Tardieu, Margeries, Gallimard, 1986, p. 228.

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