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13/10/2011

Aurélie Loiseleur, Gens de peine, Vieux jeux

Aurélie Loiseleur, Gens de peine, Vieux jeux

Gens de peine

 

Les Dénommés

 

Gens ne s’appellent pas

 

Gens ne naissent pas        

                                   sont mis bas

 

Gens va tous à l’Abreuvoir de coups à l’Abreuvoir de paroles pesamment

Gens laboure tous les jours Gens

danse la bourrée tous pesamment

 

Gens berçant des demain des doucement Gens

                                   muets mutilés de mots

 

Gens élèvent dans leurs organes des crabes mangeurs d’hommes                   

                                   quand certains meurent de pain

 

Gens puisent dans la pâtenôtre mange les noms du commun Gens ravalés                                    

                                   n’ont pas de quoi.

 

 

             

                      Vieux Jeux

 

 

 

Dit de Françoise Demoisson

 

 

« La nature a des sentiments lents.

Sans cesse il se passe des événements imperceptibles. Mais moi, je les sens. Il s’en passe sans arrêt. Par exemple quand le soleil nénupharde au milieu des nuages et des joncs. Eh bien c’est si précis qu’on peut y lire. On ne sait pas pourquoi il descend si bas. C’est comme ça. Il y a des lois. C’est comme mon amour, il ne disparaît jamais complètement du champ.

– Du soleil, toujours : est-ce qu’il peut en crever, s’il tombe ? Je n’en sais rien. Pourquoi me le demander à moi ? Vous avez des questions gênantes. Depuis le temps, vous auriez pu trouver d’autres solutions.

Je préfère ce que je ne connais pas. J’ai obtenu, par grâce spéciale, une dispense de sens. Le caché me convient à merveille. Ne dissipez pas les nuages. Donnez-moi une clarté qui ne résorbe rien des brumes ni des ombres. Je prends. Inventez-moi le monde comme il est. Ça me va. Faites-moi des dieux les plus discrets possible : qu’on doute de leur existence, qu’ils soient plus ténus que des grains de rien. Qu’on se demande toujours.

Est-ce caprice ? j’ai voulu qu’on convoque le vent, le vent qui beugle dans la conque d’oreille. Il se trouve qu’il veut crier quelque chose, quand on se concentre sur l’écoute. Au fond, c’est trop fort pour faire phrase. C’est au-delà : du souffle. Les machines n’ont pas la même façon de bruire. Elles n’ont pas de secret. 

Vous vous risquez, à peine nus, en plein dehors : vous entrez au musée Lambinet. Votre attention ! La lumière fait dans le velours. Ses peintres jouent du triangle d’or. Tout est en proportion : les perspectives s’activent gentiment pour vous servir. Il fait beau voir que des arbres se posent. Il arrive que les racines feuillent. Les rideaux respirent aux cintres bruts des branches. Des soulèvements les animent : ils rêvent. Ils rythment des scènes qu’ils ourlent de douceur, pour dédramatiser l’action du temps. Par parenthèse, est-il besoin d’autres événements ? Pourquoi reste-t-il du suspens dans une tragédie ? Je vous l’ai dit, je préfère ce que je ne comprends pas : je reste plantée là, à contempler mes questions. Ce sont de bons parents, quand on est grand. Elles me tiennent compagnie, me dévorent l’entre-dans et me nourrissent, on ne voit pas comment.

La mer déborde d’affection. Les poètes s’absorbent sans s’abîmer. Ils suivent leur cours de destin. Des oiseaux jouent tout haut du pipeau. Les pins parasols redoublent les chapeaux des dames offertes cuites, pendant que des enfants sculptent le sable des dunes : détruisant leur œuvre d’un grand coup de pied à la fin… Ils sont si riches ! 

Je vous le disais tout à l’heure : il y a des lois. Tout se vérifie. C’est précis, l’immensité ! Et ce paquet de systèmes se manifeste avec tant de simplicité qu’on douterait presque qu’il soit si complexe… Les bateaux sur la mer sont comme des lettres que les continents s’expédient. Mes poèmes vont ainsi : voguant blancs, on ne les voit qu’à peine, personne ne peut lire s’ils se rapprochent ou s’éloignent.

Bref, l’homme est en devenir secondaire. Il fait la sieste, vexé. »

 

 Aurélie Loiseleur, poèmes extraits d’un livre à venir, Nommeparus dans la revue Fusées, n° 20,  septembre 2011.