02/11/2017
Luigia Sorrentino, Figure de l'eau
le noir enveloppe l’hiver
s’en est allé
dans un cri,
de lui nulle trace
le vent sur le canal
a scindé l’azur
l’antre des yeux profonds
elle l’a suivi
dans le touffu des arbres
dans l’obscurité déjà si dense du
maquis
la petite onde
a perdu sa route
dans les failles du temps
la langue de la mousse
fait taire chaque lumière
[…]
Luigia Sorrentino, Figure de l’eau,
traduction de l’italien Angèle Paoli,
aquarelles Caroline François-Rubino,
Al Manar, 2017, p. 9 et 11.
01/11/2017
Christian Prigent, Journal
27/08 [2017) (écrire / ne pas écrire)
Les longues périodes (des mois parfois) sans « écrire » (écrire vraiment : creusement des mémoires, parcours des archives, lectures tout entières programmées par leur utilité pour le travail en cours, effort acharné au style, poursuite de l’expression sensorielle « juste », élaboration des tensions, phrase/phrasé, soucis techniques de composition, séances régulières et longues, perspective de « livre » — publication)…
Ces phases m’ont toujours enfoncé dans des états péniblement dépressifs. Sans doute parce que peu à peu, alors, s’en va toute chance de prise symbolique, toute initiative souveraine, toute possibilité de résistance à la pression paradoxalement dé-réalisante du dehors (le « monde » saturé de représentations, la « réalité » toujours-déjà fixée en mots et images, le lieu commun où s’évanouit et s’aliène la singularité sensible de l’expérience.
Du monde, alors, je ne comprends plus rien, il flotte devant moi et en moi comme un nuage fuyant, ce n’est qu’un paysage flou. C’est comme si tout sens et toute vie m’abandonnent. Ne reste qu’une pénible sensation de débilité et de déréliction, sans doute à chaque fois arrivée (misérablement avivée pour autant que mêlée de honte, de sentiment du ridicule), par la terreur, inscrite au plus profond de moi, de la perte d’amour, d’abandon, de ce que j’ai appelé un jour la « seulaumonditude » : je ne suis pas « au monde », le monde n’est plus ni en ni à « moi », etc.
Christian Prigent, Journal (extraits), Sitaudis, 2017.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Prigent Christian | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian prigent, journal (extraits), monde, solitude, angoisse | Facebook |