10/12/2022
Henri Thomas, Le monde absent
Je viens de la rue aux travaux sans nombre,
j’ai vu l’arroseur matinal changer
le bord du trottoir en azur léger,
sur l’autre trottoir c’est encore l’ombre.
J’ai vu fuir, presque silencieuse,
une automobile merveilleuse,
et les petits bars, très en retard
sur le jour (ils n’ouvrent que le soir).
J’ai vu peu de choses et bien des choses,
la rosée au fond des parcs déserts,
la Seine où mouraient de froides roses,
les chalands de leurs panneaux couverts.
Que m’en restera-t-il dans dix années,
et dans trente, seul, geignant dans un lit ?
Rien peut-être, une incertaine pensée,
ou bien tout un monde, épars dans ma nuit ?
Henri Thomas, Le monde absent (1947), dans
Poésies, Poésie/Gallimard, 1970, p. 133.
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