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06/10/2021

La revue de belles-lettres : recension

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La revue de belles-lettres avait consacré en 1999 une livraison à l’œuvre de Pierre Chappuis (1930-2020) et publie maintenant un ensemble écrit par des proches, auquel il faut ajouter les souvenirs de Michel Antoine Chappuis ; il évoque l’appartement de son enfance et a choisi avec Marion et Hans-Jorg Graf dix des tableaux d’amis qui s’y trouvent : ils sont superbement reproduits à la suite de la première version d’une prose du poète, La nuit des temps. Pierre Bugart s’attache au dernier livre publié, qui reprend notamment le premier ensemble paru (Ma femme ô mon tombeau), et insiste sur l’unité de l’œuvre. Frédéric Wandelère évoque sa première rencontre et une vie d’amitié, tout comme un autre poète, Pierre Voélin, qui rappelle que Chappuis était toujours devant « le monde et sa réalité de face(...) sans se détourner ». Ariane Luthi insiste sur la présence constante, à côté de l’écriture de poèmes, de la réflexion critique ; elle se souvient aussi des longs échanges au cours de leurs marches. C’est encore un Pierre Chappuis très proche qui apparaît dans les pages de Sylviane Dupuis qui raconte son engagement pour préparer une lecture devant des étudiants et répondre à leurs questions ; elle montre sa proximité à Jaccottet pour la poétique du paysage, « nourrie de l’expérience physique de la marche », cite des extraits de lettres, y compris l’une écrite après le décès de son épouse dans laquelle il a recopié un poème de Jean-Luc Sarré. Amaury Nauroy présente vingt lettres échangées entre les deux poètes qui « se reconnaissaient une même passion pour les images et quelques maîtres communs ». Ils se lisent attentivement : à propos de Dans la foulée, Sarré se dit « très sensible à cette poésie parfois proche de la note » et aux retours « sur un mot ou une phrase pour mieux les affûter, dépecer, prolonger » ; Chappuis apprécie le « ton narquois et tendre » de La Part des Angeset « toutes les petites choses, les petits riens » qui ont « une résonance commune » et « un prolongement au-delà ». C’est un bel ensemble qui incite à relire ces deux poètes discrets, Jean-Luc Sarré (1944-2018) disparu un peu avant Pierre Chappuis.

Bruno Pellegrino, dans la rubrique "L’inventaire", sous le titre Marthe, se livre à une enquête passionnante à propos d’une femme "ordinaire", donc oubliée, comme toutes celles qui ne laissent qu’un nom sur une tombe et, parfois, un souvenir pour des proches. Il lit le compte rendu, publié en 1919, qui « liquide en quelques lignes » un livre de poèmes publié par Marthe, Et j’ai noué ma gerbe..., et cherche à reconstituer la vie de son auteure. Il dépouille des journaux, des notices nécrologiques, accumule les éléments et reconstitue quelques éléments de l’existence de cette infirmière active pendant la guerre de 1914-1918, décédée en 1971 ; il retrouve la trace d’une de ses amies, également infirmière avec laquelle elle a vécu, mais pas sa date de sa naissance. Avant cette enquête, Bruno Pellegrino avait classé les archives d’une écrivaine connue pour qu’elles soient conservées — elles seront plus tard étudiées et aboutiront à des thèses. « Marthe (...) n’aura jamais droit à ce traitement, dont d’ailleurs elle n’aurait sans doute pas voulu ». Ce genre d’enquête minutieuse donne à réfléchir sur ces "vies minuscules", aussi riches d’enseignements que la vie de célébrités, elles aussi vouées pour la plupart à l’oubli.

Fabio Pusterla, traducteur en italien de Philippe Jaccottet et préfacier de ses œuvres dans la Pléiade, a été surtout traduit et publié par des éditeurs suisses et il reste encore peu connu en France. C’est à Jaccottet, en citant longuement Notes du ravin, que Pusterla recourt pour répondre, dans une des deux conférences traduites, à la question souvent posée : que peut la poésie dans notre société ? Il conclut qu’on peut « croire encore possible, encore sensé, un dialogue de profondeur entre le texte et ses lecteurs » et, ainsi, de « se reconnaître égaux devant le mystère de la beauté ». Plusieurs longs poèmes, traduits notamment par Mathilde Vischer (qui l’a introduit en français en 2001 avec Me voici là dans le noir) sont construits à partir de la destruction des populations aborigènes de Tasmanie, méditation autour de la relation entre aujourd’hui et un temps hors de l’Histoire ; c’est sous un autre angle que cette méditation se poursuit par sa rencontre avec la grotte Chauvet. Pusterla propose à la lecture quelques poètes quasiment inconnus en français (traduits par M. Vischer et Laurent Cennamo), toujours avec le texte original, Francesco Scarabicchi, Massimo Gezzi et Stefano Simoncelli.

La première partie de la revue est consacrée à la poésie, avec des textes très variés. On lira avec intérêt des extraits d’un Livre de palabres, de Henri-Michel Yéré, qui présente un poème en argot d’Abidjan, le nouchi, avec sa version en français, exemple rare de bilinguisme dans une langue :

                       Un soir on s’en gabassait de plages
                       Orage était dans ciel fatigué

                       C’était un soir où nous tournions le dos aux plages
                       Le ciel était rempli d’orages

Patrick McGuinness a écrit autour du thème de la disparition, du départ dans plusieurs poèmes, dont le premier, le plus étendu, à propos de tours de refroidissement qui, n’ayant plus de fonction, sont abattues ; Gilles Ortlieb avait déjà traduit le poète anglais avec le recueil Guide bleu en 2015. La revue donne aussi des poèmes de Julien Burri et Laurent Cennamo et s’ouvre avec un poète chinois de Taïwan, Wang Wen-hsing, traduit par Camille Loivier : notes à propos de la création, de la vie quotidienne, des choses de la vie, comme cette question qui clôt l’ensemble, « À présent je ne crains plus la mort, mais comment pourrais-je ne pas avoir peur pour la vie ? »  

La revue de belles-lettres, 2021, I, 232 p., 30 € (abonnement, 56 €, La revue de belles-lettres, Case postale 6741, Lausanne, Suisse). Cette recension a paru dans Sitaudis le 6 septembre 2021.                    

 

 

 

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