20/05/2017
Shoshana Rappaport-Jaccottet, Écrire c'est lier
Écrire c’est lier
Écrire, c’est lier. Comment ficeler le bouquet ? D’emblée, pouvoir contrarier les catégories, donner à voir une géographie du cœur, mouvante, pudique, sensible. Ingrédient décisif, il faut déposer en douceur quelques phrases choisie pour la circonstance. (Chronologie du présent.) Disposer d’un temps propice hors de l’inquiétude, de l’interrogation. Déjouer les effets d’attente. Pas d’évidence expressive. « Nous n’avons pas la verticale. » Soit. Dialoguer avec le monde, — dialogue fragile, fluide, nécessaire, être dans la vie, et donner un sens plus pur aux mots de la tribu. « C’est comme ça. » Comment toucher, remuer, atteindre ? Choses perceptibles, choses de la pensée. Asseoir le trouble, et penser à « l’a-venir » ? Déplorer les mots rompus à toutes les besognes. Merveilles, babioles. Aucune ne mord sur le réel. Ne pas passer à côté : offrande du jour festif, la fidélité donne de la mémoire. (Saisir la réflexion à sa racine, là où se réalise l’ample tessiture des registres, sa vocation à remonter les chemins. Dire et faire : avec quel lexique rendre l’immédiateté de la voix, du geste, de la vitalité libre ? Latéralité du regard. De ce regard-là qui fixe, évalue, désigne, discerne, construit tel cadastre à sa mesure. Posséder un lieu où se tenir debout, vaille que vaille, quel que soit le fond. Invention, méditation, et attention perceptive.
Shoshana Rappaport-Jaccottet, Écrire c’est lier, dans (Collectif) le grand bruit, pour fêter les 80 ans de Michel Deguy, Le bleu du ciel, 2010, p. 207.
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