16/03/2015
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955
À Roger Van Gindertael
Paris, 14 avril 1950
Départ — pas un départ, tout au plus un faux recul... Il se peut que le départ soit une certaine inquiétude de l’esprit avec bien sûr un besoin immédiat de l’assouvir.
La conscience du possible, l’inconscience de l’impossible et le rythme libre.
Respirer, respirer, ne jamais penser au définitif sans l’éphémère.
Sans néant graphique pas de vision directe.
De la couleur sans couleur aux aguets...
Comme cela, vertical sur le crâne.
Alors, voilà du bleu, voilà du rouge, de vert à mille miettes broyés différemment et tout cela gagne le large, muet, bien muet.
Un œil, éperon.
On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, semblable, différent.
Un geste, un poids.
Tout cela à combustion lente.
Palette — c’est le timbre, le son, la voix.
Le saut de la plate-forme, impossible à repérer, ça va trop vite, c’est peut-être pour cela précisément que c’est si lent.
Niaiserie, une des sources les plus profondes à discrétion.
Le large est à tout le monde, seulement chacun a des narines différentes pour en percevoir ce qu’il peut.
Aller jusqu’au bout de soi... tour de passe-passe, acrobate et compagnie, la mort.
N’évaluer jamais l’espace trop rapidement. Il y a des petites pommes de pin toutes ratatinées dont l’odeur nous donne une telle impression d’immensité que l’on se promène à Fontainebleau en étouffant dans cette forêt comme dans une mansarde à nains.
[...]
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955, édition présentée et commentée par Germain Viatte, Le bruit du temps, 2014, p. 195.
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