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28/08/2013

Samuel Beckett, L'innommable

Samuel Beckett, L'innommable, bébé, enfant

     Les vieux n'étaient pas tous d'accord à mon sujet, mais ils étaient d'accord que j'avais été un beau bébé, tout à fait au début, pendant quinze jours trois semaines. Pourtant ç'avait été un beau bébé, ainsi invariablement se terminaient leurs relations. Souvent c'était l'un des enfants qui, profitant d'une pause dans le récit pendant laquelle mes parents s'abîmaient dans leurs souvenirs, lançait en guise de clôture la phrase consacrée, Pourtant ç'avait été un beau bébé. Des rires clairs et innocents, jetés par ceux que le sommeil n'avait pas encore terrassés, saluaient la mise en place prématurée de cet envoi. Et les narrateurs eux-mêmes, arrachés brusquement à leurs tristes pensées, ne pouvaient s'empêcher de sourire. Puis tous, à l'exception de ma mère que la station debout fatiguait, de se lever en entonnant, Doux Jésus, paisible et suave, par exemple, ou bien, Jésus, mon seul, mon tout, entends-moi quand j't'appelle, par exemple. Lui aussi avait dû être un beau bébé. Alors ma femme communiquait les dernières nouvelles, pour qu'on les emportât au lit. Le voilà à nouveau à reculons, ou, Il s'est mis à se gratter, ou, Il a fait le crabe pendant dix bonnes minutes, ou, Venez vite, il est à genoux, ça valait le coup d'œil évidemment.

 

 

Samuel Beckett, L'innommable, éditons de Minuit, 1953, p. 64-65.

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