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03/11/2012

Georges Perec, Espèces d'espaces

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L'utopie villageoise

 

       Pour commencer, on aurait été à l'école avec le facteur.

   On saurait que le miel de l'instituteur est meilleur que celui du chef de gare (non, il n'y aurait plus de chef de gare, seulement un garde-barrière : depuis plusieurs années les trains ne s'arrêteraient plus, une ligne de cars les remplaceraient, mais il y aurait encore un passage à niveau qui n'aurait pas encore été automatisé).

   On saurait s'il allait y avoir de la pluie en regardant la forme des nuages au-dessus de la colline, on connaîtrait les endroits où il y aurait encore des écrevisses, on se souviendrait de l'époque où le garagiste ferrait les chevaux (en rajouter un peu, jusqu'à presque envie d'y croire, mais pas trop quand même ...).

    Bien sûr, on connaîtrait tout le monde et les histoires de tout  le monde. Tous les mercredis le charcutier de Dampierre klaxonnerait devant chez vous pour vous apporter les andouillettes. Tous les lundis, madame Blaise viendrait laver.

   On irait avec les enfants cueillir des mûres le long des chemins creux ; on les accompagnerait aux champignons ; on les enverrait à la chasse aux escargots.

   On serait attentif au passage du car de sept heures. On aimerait aller s'asseoir sur le banc du village, sous l'orme centenaire en face de l'église.

   On irait par les champs avec des chaussures montantes et une canne à bout ferré à l'aide laquelle on décapiterait les folles graminées.

   On jouerait à la marelle avec le garde-champêtre.

   On irait chercher son bois dans les bois communaux.

   On saurait reconnaître les oiseaux à leur chant.

   On connaîtrait chacun des arbres de son verger.

   On attendrait le retour des saisons.

 

Georges Perec, Espèces d'espaces, Denoël/Gonthier, 1976 [Galilée, 1974], p. 104-105.

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