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13/02/2012

Noémie Parant, 45 lettres à D. (extrait)

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                                  Lettres À D.

 

 

Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne comble que ton corps serré contre le mien

(André Gorz, Lettre à D., « Histoire d’un amour »)

 

                                                                              13 août 2010


Cher D.,

 

J’ai oublié, déjà, ce temps d’avant toi, et l’ombre de ses lunes, la couleur de ses planètes ; j’ai oublié tout ce que j’ai aimé adoré, et ces milliers de vies qui me peuplaient comme si tout, d’ici, m’était désormais, et infiniment, ir-resaisissable. Il y a eu pourtant une enfance du monde ce temps de mes premiers yeux surtout Où je me penchais quelquefois au balcon pour y respirer le jasmin le chèvrefeuille les roses même Où je cherchais souvent à m’écraser contre les vitres de la fenêtre à ouvrir les lucarnes toutes pour laisser entrer les espaces pour laisser un passage aux atmosphères du ciel Où je me lançais parfois dans la rue dans les champs sur les routes sur les chemins pour sentir l’odeur du foin en été celle de la pluie aussi ou encore celle fleurie du feu de bois des plages d’enfants des pierres de vestiges des marchés villageois des Mais j’ai tout oublié, déjà, donnant offrant ce que j’avais toutes ces impossibles perspectives à une mémoire impénétrable : comme si, de toujours, tu avais été ma courbe de lumière ma sphère de soleil comme si j’avais découvert dans tes silhouettes, dans tes inflexions, dans tes gestes un rayon flamboyant un astre du visible un chemin de chaleur un chemin éblouissant. Il a existé pourtant cet amont de l’éblouissance avec toutes ces villes tous ces toits tous ces regards désormais méconnaissables Toutes ces collines aussi toutes ces vallées desquelles sortaient jaillissaient des paysages aujourd’hui inaccessibles Mais rien, néanmoins, ne peut précéder ces espaces lovés dissimulés enfouis dans l’espace de ton visage : ces reliefs, ces creux, tous , de tes sourires ; cette obscurité, ces mille obscurités, de tes bouches ; cette fuite merveilleuse de tes lèvres ; et surtout ces passages derrière tes yeux de lumière, ces passages resplendissants. Alors oui je peux bien ce jour cette nuit rechercher dans mon corps dans la mémoire de mon corps comment en arrière de nous-mêmes je basculais au bord du monde Je peux même chercher derrière le visible derrière tout ce visible cette autre cette ancienne respiration du ciel pour m’y enfoncer m’y engloutir m’y étouffer le nez la bouche dans l’espérance déraisonnée que cette respiration ne me reviendra pas seulement comme un imaginaire ni même comme un impossible Mais je ne sais plus, ici, ce que signifie « était » ni « avoir été » : parce qu’il y a tes doigts, tes champs, de lumière et ce vertige dans les ruelles, aujourd’hui radieuses, aujourd’hui flamboyantes ; ce vertige immense qui frappe les chaussées les passants les passages, tous. J’essaie pourtant encore de m’enfoncer dans cet autre temps dans ce temps sans autre où mes mains leurs matières leurs tangibles tiraient vers tes mains comme des lieux d’espérance Pour saisir ressaisir ressentir ce qui a bien pu changer se modifier se métamorphoser ainsi d’un temps à l’autre de l’avant à l’aujourd’hui Pour déchiffrer décrypter délivrer mon amour mon adoré mon immensité cette transfiguration cette altération éclatante étincelante é

 

 

12 septembre 2010

Cher D.,

 

J’ai essayé, plusieurs fois une infinité de fois, d’en revenir d’en repartir de cette lettre impossible : c’était comme un soleil poussant de la mer, nous poussant à fleur de mer. Mais c’est d’abord, à chaque fois, le monde qui a surgi le monde en amont de toute trace de toute écriture possibles derrière toi derrière moi derrière ce que nous fûmes innombrables innommables derrière encore tous ces vestiges enfouis ensevelis engloutis : le monde par ton monde, ainsi donné offert dé-livré et l’espérance aussi, le désir, de ce voyage de flammes de braises C’est qu’il aurait fallu, sans doute, monter au piano suivant, là où d’autres pianos s’ouvrent, collants à la langue, aux lèvres et finalement au visage : c’est que j’aurais dû te dire te souffler, d’un mot d’un souffle, "Mareluna" ; vouloir, plutôt, la mer et la lune l’une dans l’autre la mer, seule, dans la lune, prise dans la boue dans les arborescences dans les feuillages de la lune. Mais je n’ai pas su plonger dans ces végétations luxuriantes, et encore moins m’immerger dans la chair de ces pierres colorées de ces mosaïques mille fois découvertes décortiquées réécrites J’ai seulement pu jouir du pied, du seuil, du premier piano et, d’ici, t’offrir te lancer à la volée, tout entière, cette terre, et ses sentiers pavés de gris de noirs : te donner, même, à toucher à étreindre à brûler autant de pavés sans couleurs pour que tes mains, pour que tes doigts, étreints, naissent de cette brûlure. J’aurais voulu, pourtant, dans ce geste, te tendre plus que les seules marches du soleil : j’aurais voulu, oui, de toutes mes bouches, te livrer aux racines du feu et t’esquisser te dessiner, immense, une traversée dans la lumière rougeoyante pour passer, ivre, au-delà du monde au-delà de ses allées de ses couloirs de ses gorges. Mais nous avons brûlé l’un l’autre l’un de l’autre : nous avons brûlé, de fièvre de folie, dans ce pays du Sud, dans ce pays de chaleurs d’étincelles dans ce champ d’incandescences escaladant arpentant adorant les bras du soleil et ses vallées et ses sommets et ses cimes et ses

 

Noémie Parant, 45 lettres à D., à paraître.

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