12/01/2012
Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir
Sonnet
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée,
Et bien que tout l'amour ne s'en soit pas allé,
Ce feu qui dans mes sens a doucement coulé,
Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.
Après ce doux effort mon âme reposée
Peut rire du plaisir qu'elle vous a volé,
Et de tant de refus à demi consolé,
Je trouve désormais ma guérison aisée.
Mes sens déjà remis commencent à dormir,
Le sommeil qui deux nuits m'avait laissé gémir
Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.
Et quoiqu'il soit si froid au jugement de tous,
Il a rompu pour moi son naturel de glace,
Et s'est montré plus chaud et plus humain que vous.
Sonnet
Je songeais que Phyllis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
voulait que son fantôme encore fît l'amour
Et que comme Ixion1 j'embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit glissa toute nue
Et me dit : cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.
Je viens pour rebaiser le plus beau des Amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements.
Alors quand cette idole eut abusé ma flamme,
Elle me dit : Adieu, je m'en vais chez les morts,
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu te pourras vanter d'avoir foutu mon âme.
Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir, Œuvres choisies, édition présentée et établie par Jean-Pierre Chauveau, Poésie /Gallimard, 2002, p. 118 et 95.
1 Ixion, qui avait osé aimer Junon, fut éprouvé par Jupiter avec une nuée qui avait l'apparence de la déesse ; convaincu, grâce à ce stratagème, de sa culpabilité, Jupiter le foudroyé. [note de Jean-Pierre Chauveau]
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