03/10/2011
François Bon, Sortie d'usine
Le bonhomme, sa casquette à la main, chassait d’autour de lui les papillons. Il était célèbre aussi pour ça, cette sorte de petits papillons blancs ou jaunes, minuscules et poisseux, qui semblaient l’accompagner où qu’il aille, et lui tissaient comme un voie lorsqu’il remorquait son transpalette tout au long des allées sous le bruit. Des bestioles qui n’étaient attirées que par lui, et qu’on ne voyait autre part qu’autour de lui. Il avait sa cabane au fond de l’enclos, derrière un grillage métallique solide. Une longue allée sur un ciment très sale, bordée de box en planches goudronnées. Puis, au fond, l’allée se resserrait entre des tas de bidons et de fûts jusqu’à sa cahute de tôle ondulée, très basse, dont il ne manquait jamais de boucler la porte au cadenas lorsqu’il la quittait. Le tout coincé entre le mur de briques du hall et le mur d’enceinte de l’usine, bien plus hauts chacun que la cahute et les tas qui la bordaient. Lui s’habillait par-dessus son bleu d’un vaste tablier de cuir, épais, qui lui couvrait du cou jusqu’au bas des jambes et se refermait à la taille. On ne l’avait jamais vu autrement. Faut bien, disait-il, pour mon boulot. Il n’était guère bavard, et très peu avaient à lui parler. D’ailleurs de la journée il s’éloignait rarement de son domaine, l’allée et la cahute. Il avait même le privilège de pouvoir s’y asseoir à la porte, seul peut-être de toute la tôle à être toléré ne rien sembler faire, même un moment. Avec les heures que je fais, je peux bien il dit. Son travail de toute façon s’accomplit très bien ainsi, sans besoin d’aucune aide. Avant qu’ils arrivent, ou tout le monde parti. Chargeant sur son transpalette les poubelles disposées un peu partout dans les ateliers, vieux bidons dont le couvercle avait été découpé au chalumeau, les entassant trois par trois sur le chariot et les ramenant à la benne devant son allée, alors les vidant et les triant, récupérant les chutes de fil électrique pour le cuivre, la visserie tombée et balayée, les bouteilles vides, puis le papier, les cartons à empiler et ficeler dans la cabane, le reste enfin pouvant partir aux ordures. Ou chargeant à la fourche les copeaux entassés dans les bacs sous les machines de l’usinage, et les répartissant par matières dans chacun des box cloisonnées le long de son allée. Les fûts eux servant à la récup des différentes huiles de vidange.
François Bon, Sortie d’usine, Minuit /double, 2011 [1982), p. 85-86.
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