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18/06/2011

Jude Stéfan, Grains & issues

 

images.jpegEt la poésie, elle ? Elle exige une distance dans le langage — on ne poétise pas comme on élabore un roman ou rédige un pamphlet —, elle ne peut répondre à un effort direct, né de la vie même, qui s’inscrirait sitôt en des données verbales propres au scandale ou à la rage de l’être : elle requiert une forme. (À l’opposé de cet artefact D. Collobert a écrit des instants vécus, ponctués de tirets, d’enchaînements de perceptions et sensations unissant vie et écriture, parce qu’elle souffrait cette incapacité d’engagement réel, de témoignage incarné dans le poème, qui l’a menée à son propre renoncement, à ce niveau extrême la littérature étant perçue impossible parce que générale, impersonnelle, négatrice du Soi).

Ces questions ne naissent que d’une croyance naïve en un sujet. Quel est le sujet dans le poème ou le texte — le substrat personnel et fictif ? Beaucoup se croient « auteurs », comme on dit dans les manuels, alors que la littérature est une puissance anonyme de langage, ou j’ « engage » ma propre mort originelle, en toute perte. Même pas contemporain de moi-même, selon Mallarmé, ailleurs, quelque part dans l’espace virtuel qu’est l’écriture vaine, un simulacre de vérité.

 

Jude Stéfan, « De l’engagement (ou la poésie, elle), dans Grains & issues, La ligne d’ombre, 2008, p. 64-65.

© photo Tristan Hordé

  

 envoi

 

            outre les cendres

au soir d’un beau jour

il n’y a plus le sentiment

du temps ou des choses il

n’y a plus que la lettre

            phrases et tablettes

brûlées les seules questions

dieu, la mort, le temps, l’amour,

            la mer, le trou

            où jouir et naître

pourquoi jadis ces sourcils fournis

            adieu riantes peintures

Sertorius et Pompée

les mouches d’été

 

Jude Stéfan, Caprices, Gallimard, 2004, p. 81.

 

 

p. de Virgule

 

            j’ai longtemps médité sur ta nudité

le mur était enlacé de lierre le

même qui dévorerait ta rouille

mes mains froides à ton flanc battant

et les rides sur ton visage attendant

puis nous nous crucifiions soudain

en pleurs comme emprisonnés aheurtés à

nos parois de chair, j’ai longtemps cher-

ché ta tombe désertée toutes tes âmes

mortes qui riaient et qui chantaient

dans les dimanches Toi seule m’étrei-

gnais le membre en chemin je mange enco-

re ta lourde langue Olga ma tante ma

                             Suzeraine

 

Jude Stéfan, La Muse province (76 proses en poèmes), Gallimard, 2006, p. 15.

 

 

 

 

 

 

 

 

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