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25/05/2011

Antoine Emaz, Cambouis



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Un poème, c’est de la langue sur une émotion qui rend muet. Il va contre ce mutisme. Il est donc bien un exercice de lucidité, d’élucidation. Par les mots, je retrouve un peu prise sur ce qui oppresse. Par les mots, je me décale, je prends un  peu de distance, je ne suis plus complètement dedans. On 
écrit sans doute moins pour ne  plus avoir mal que pour   comprendre de quoi on souffre exactement.

 

De l’urgence d’une poésie qui ne triche pas, c’est-à-dire qui ne réduise pas. Voilà le défi. Inventer des formes capables de résister au poids de la réalité. Mais ces formes, très vite, si on les casse pas, s’autonomisent, ne s’intéressent plus qu’à elles-mêmes. Accepter le côté dynamique de la réalité autant que son côté répétitif : oser ressasser, oser du neuf, le risque est égal.

 

« Un pur travail de langue », « une défaite de la pensée », « le développement d’une exclamation », une vision du monde, une tour d’ivoire, un cœur frappé, un jeu de contraintes… La poésie peut être tout cela, tour à tour, avec plus ou moins de ceci ou de cela selon chaque poète. La poésie est ce qui résiste à l’enfermement, ou plus précisément ce qui toujours passe à travers les barres, les grilles. Elle est l’air qui passe dans cette carcasse de mots morts, et chante encore, ou chantonne, ou sifflote, ou bruit. Rien de plus que l’air qui passe dans les tuyaux de mots, pour une musique qui touche.

Partant de là, on peut légitimement considérer comme aussi poétiques des démarches qui visent à faire chanter, ou déchanter, ou enchanter… La question est moins celle de l’objectif, du but visé, que celle des moyens pour créer un rapport neuf au réel et à la langue, et celle de l’implication de toute la personne dans ses choix d’écriture. Quand je dis « choix », je m’entends, on ne peut demander à un poète que d’écrire aussi loin qu’il le peut dans l’espace qu’il s’est taillé dans la langue commune. Ce faisant, il est tout à fait possible qu’il dépasse notre capacité d’écoute, ou même d’entente ; cela n’invalide en rien sa tentative. « Il faut aller jusqu’au bout, même pour ne pas vaincre » (Reverdy).

 

Antoine Emaz, Cambouis, Déplacement / Seuil, 2009 , p. 8, 15, 20-21.

© Photo Tristan Hordé, 20 mai 2011.

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