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Sanda Voïca, Épopopoèmémés

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                          Ouvre les yeux

 

 Ouvre les yeux pour — je ne sais plus : c’était hier déjà

Et je me cache de plus en plus vite les raisons d’ouvrir les yeux

Ouvre les yeux — on me disait hier matin, entre sommeil et réveil.

Ouvre le tiroir et regarde, surtout : on me le disait. Qui donc ?

Et j’ai ouvert un large tiroir plein de livres, où le premier à voir et à ouvrir,

                             [posé couché à côté de quelques autres.

C’était mon livre : un livre que je reconnaissais sans reconnaître —

Je l’avais écrit moi, en effet, mais sa couverture bleu-blanchâtre était inédite.

Et ce n’est pas un rêve : l’interprétation d’un rêve, peut-être, mais en direct,

         devant mes yeux ouverts, devant ce tiroir ouvert, et surtout dans ma vie

           toujours ouverte, béante.

 

Je n’ai pas fini mon poème hier — le poème du jour s’arrête ici — écrit

           aujourd’hui, mais c’est le poème d’hier. D’hier matin.

Le 13e en rang, le 13e diffus, le 13e en cours d’empoisonner les autres.

     Celui d’aujourd’hui surtout.

Le 14edéjà commencé sur le papier — pas encore tapé : en retard de mes      

             poèmes.

J'ouvre une autre page word, ici.

J’ouvre. Et je ferme aussi celui-ci.

Fermeture-éclair : comme celui d’un sac de couchage, pour un camping à jamais

             ajourné, mais dont profite mon chat :

Je lui ai fait prendre un bain, et pour qu’il ne s’enrhume pas, je l’ai mis dedans,

                 bébé sage, soulagé de sa crasse tignasse,

il ose à peine sortir son nez.

Cette fois je ferme la boutique, le numéro 14 m’attend.

 

Comme une femme dans un bordel, qui est attendue. Au boulot !

 

Sanda Voïca, Épopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015, p. 66-67.

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19/03/2016 | Lien permanent

Sanda Voïca, Exils de mon exil

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          La conquête impossible

 

Sur ce bateau vaguant pour la première fois

Qu’on me mette dans son ventre bas,

d’où je guetterai le jour de l’an.

Ma vie est une fête.

Mais ceux que je ne connais pas

ont-ils les mêmes fêtes, le même calendrier ?

Leur année  a-t-elle la même durée que la mienne ?

Comment conquérir et aimer un peuple

qui n’arrive pas au bout de l’année ?

Comment remplir le temps qui n’existe pas ?

De mon coin j’enverrai des signes :

La vie est une fête ; d’un jour, d’un an,

mais de ma longueur,

une étendue impossible pour les autres.

On n’est jamais conquérant

Mais on est toujours aimant

en avalant le temps.

Voilà ce que je vous dis,

mais ce que je ne peux pas vous dire

c’est d’où je vous parle :

C’est quoi cette boule mouvante, visqueuse,

mélange de lumière et matière,

qui me garde au chaud,

qui me pousse à écrire ?

Assise tantôt dedans, tantôt dessus.

Ne croyez surtout pas qu’avec ces détails

je vous ai tout dit.

 

Sanda Voïca, Exils de mon exil, Passages d’encre,

2015, p. 11.

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15/06/2015 | Lien permanent

Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre : recension

sanda voïca,les nuages caressent la terre

Sauf un, daté de 2018, les poèmes en vers libres du recueil ont été écrits en 2015, l’année de la disparition à vingt et un ans de Clara, la fille de Sanda Voïca, et l’année suivante. Il ne s’agit pas de poèmes pour "sortir" de la douleur, bien plutôt d’une tentative d’écrire un vide impossible à combler. On ne peut pas ne pas penser au vers, certes ressassé, de Lamartine, dans "L’isolement", à propos alors de la femme aimée décédée « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Écrire, sans aucun doute, n’écarte pas la douleur — aucun poème ne peut l’annihiler —, mais constitue un lieu de mémoire indépendant de la tombe où Sanda Voïca a planté un hibiscus rouge qui, notamment, symbolise l’amour et la féminité.

 

Clara avait offert à sa mère une rose blanche pour son anniversaire, rose qui, contrairement à la rose rouge de son père adoptif, est restée longtemps fraîche dans le vase, comme si la jeune femme avait eu le don de la maintenir dans son premier état ; à partir de ce fait, l’auteure fait comme si sa fille avait les caractéristiques d’une sainte et, de cette manière, lui donne une possible éternité. Ailleurs, elle se réjouit que Clara soit devenue « étrangère » à tous en disparaissant ; devenue autre, elle se serait ainsi « rapprochée (...) de son essence ». Ce sont là des essais, le temps d’un poème, de penser autrement la mort de celle dont elle écrit maintenant : « la moitié de mon corps s’est perdue ». Clara avait-elle des dispositions au-delà de la nature humaine ? non, elle est « Partie, tout simplement », et désormais sans lieu, elle est « aux cieux / ou ailleurs — nulle part ? / ou (...) n’es[t] plus du tout ».

Il y eut d’abord pour l’auteure, au moment de la disparition, l’impossibilité de toute parole organisée ; toute expression ne pouvait être que rejet du réel pour le moins mis à distance puisque toute stabilité était évanouie, « J’ai parlé, parlé, crié, / Dit, redit, maudit, médit ». Entre l’hier et l’aujourd’hui quelque chose s’était rompu qui empêchait de vivre une continuité ; Sanda Voïca évoque « Une fêlure / Une fissure » dans le monde, proche ou non, au point que les jours lui semblaient alors tous « Rebuts et remâchage », que le temps « pass[ait] sans passer », qu’être encore là était seulement preuve de son « inexistence ». Cependant, écrire « ce qui gémit sans cesse / sans qu’on l’entende » éloigne progressivement la violence sans nom qui lui avait été faite ; on peut aussi  évoquer avec la même fonction le collage de Sanda Voïca qui ferme le livre, où deux figures féminines se font face, collage titre « Avec Clara (Dialogue) ».

 

On suit ces lents mouvements de refus de la résignation, de retour avec les autres, sans que l’inacceptable soit accepté. Ce qui ravive la douleur de la perte, c’est de penser à tout ce que Clara ne connaîtra pas, aussi bien « l’extase sous les tilleuls en fleur » que la poésie de Mihai Eminescu, le grand poète romantique roumain. L’absente redevient d’ailleurs fortement présente quand sa tête, dans une vision difficile à supporter, semble flotter dans l’air, elle l’est encore bien plus sur les photos où rien ne peut effacer son sourire qui, chaque fois, fait l’effet de « coups de lance » tant il renvoie à ce qui jamais ne sera plus. Ce qui est très peu supportable dans la vie quotidienne qui continue et contre quoi on ne peut pas toujours réagir, c’est la sottise ou l’indifférence devant une douleur qui ne peut s’estomper ; une tante en guise de consolation assure que Clara est au paradis, celui-ci ne sait parler que de lui et prétend qu’il ne faut vivre, comme lui, que les « bons moments ».

 

Comment retrouver ne serait-ce qu’un semblant d’équilibre ? En se réhabituant à vivre ce qui fait la vie de tous, la pluie, le jour et la nuit, en relisant Apollinaire, en rêvant de devenir arbre, en pensant aussi que l’écriture contribue à maintenir le souvenir de Clara, « Mon récit, ici — voudrait rendre sa substance, sa chair, ses yeux, ses cheveux » — garder donc plus qu’une trace pour pouvoir, à nouveau « Respirer et regarder : / Le monde est dans l’œil qui vit ». On n’oubliera pas les nombreuses œuvres aux techniques et aux supports variés (dessins, encres, collages, aquarelle, acrylique, etc.) qui accompagnent les textes, elles font de l’ensemble un tombeau poétique, elles ont sans aucun doute aidé l’auteure à ne plus considérer que la vie était « Sueur et larmes ». C’est pourquoi on lit parmi les derniers vers une annonce d’autres livres, « Le ciel, mon miroir, / Les mots, mon ciel. / L’écritoire — ma terre. »

Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, Les Lieux-Dits, 2022, 90 p., 18 €, Avec des œuvres de P. Boutibonnes, S. Dudouit, S. Durbec, C. François-Rubino, G. Lejard, M. Marie, D. Massu-Marie, C. Pop-Dudouit, V. Sablery, L. Soptelea, J-P. Stevens, Sanda Voïca. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 3 septembre 2022.

 

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22/10/2022 | Lien permanent

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