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Federigo Tozzi, Les Bêtes (traduction Philippe Di Meo)


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  Je reviens dans les grandes prairies, que j'aimais avant même de lire Pétrarque, pour voir les fleurs que j'aurais offertes, il y a bien des années, à une jeune fille que j'imaginais comme je la vois maintenant dessinée dans certain livre. Elle devait être surtout gentille et sentimentale ; et elle devait m'aimer toujours autant, même si je l'avais épousée Et, parfois, relisant nos lettres, nous aurions soupiré à l'unisson.

   Mais cette année aussi, il y a des fleurs et peut-être même davantage, car le temps a été moins sec ; et alors, l'envie me prend de courir vers l'horizon pour voir si je parviens à étreindre cette femme qui me semble plus vivante que parle passé.

   Mais il y a seulement une hirondelle qui trisse.

 

                                           *

 

   J'ai toujours eu peu de temps pour aimer quelqu'un

   Cet été était si chaud que dans le ciel lui-même, il n'y avait pas de place pour lui. On eût dit que le soleil se levait toujours plus grand, et il était impossible d'imaginer le moment où il se coucherait.

   Haies empoussiérées, cyprès sur le point de sécher, semble-t-il, arbres morts, sorghos et maïs devenus blancs, réseaux d'araignées si brillants qu'ils semblaient faits d'un métal qui couperait les mains, portes crevassées, tonneaux défoncés, la terre si dure que plus personne ne la travaillait, les lits des torrents sans libellules et à l'herbe fanée, saules qui ne poussaient plus, mûriers à feuilles minuscules, socs luisants, pierres qui échaudaient, nuages rouges comme des flammes, étoiles filantes !

 

   Sur le nœud d'un olivier chante une cigale : je l'aperçois. Je m'approche, sur la pointe des pieds, en équilibre d'une motte de terre à l'autre. Je l'attrape. Je lui arrache la tête.

 

Federigo Tozzi, Les Bêtes, traduction de Philippe Di Meo, collection Biophilia, José Corti, 2012, p. 34-35, 48.

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25/05/2012 | Lien permanent

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

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                   Chant du chien

 

Saint François et la Fontaine

Essenine et Supervielle !

C'est ce chien de Salabreuil

Avec sa pelisse en deuil

Qui vous jappe cantilène

Au bord du poème obscur

Depuis sa niche d'étoiles

Et l'ombre à son souffle impur

Se replie au creux du monde

Quelle honte quelle honte

Vous êtes en plein soleil

Et des lambeaux de sommeil

Faseyent sur vos épaules

Quand passe dans la nue molle

Un tourbillon d'or poisseux

Mais voici que parmi ceux

Qui se lèvent tôt sur terre

Vous prêtez à la lumière

Votre oreille en papier blanc

Et ma voix de chien descend

Noire depuis cette vie

Sur ces fleurs qu'elle déplie

Comme fait l'aube au printemps

Avec celles éclatantes

De vieux pommiers pour qu'y entre

Le bourdon lourd et en creux

Du jeune orage d'avril

Ne soyez pas mécontents

Ce chien fou avec sa queue

Fouette ce n'est pas facile

Un lait d'astres poussiéreux

Non sans mouches et taons bleus

Souvenez-vous l'air s'attarde

Un soir de mauvaise garde

À l'odeur de foin coupé

Dans des profondeurs sans âge

Puis l'os long d'un paysage

Un peu de lune à laper

Qu'on nous jette de la route

Bouillon triste maigre croûte

Pour que meure la chanson

Au mâchis des rogatons

Mais c'est à minuit

Que hurle le jeune chien

Moi j'ai peur et le vent tourne

Autour de tout et de rien

Et je le sens qui me flatte

Soulève abaisse ma patte

Je grogne de vieille peur

J'aboie après des lueurs

Vagabondes qui m'entraînent

Ayant rompu toutes chaînes

Pardonnez-moi de toujours

Vous cherchez au lin du jour

Me lamenter à vos trousses

Quand votre mort est si douce

Et si grand votre plaisir

À marcher seul et n'offrir

Plus aucun chant au silence

Pardonnez-moi ma constance

À vous suivre et vous trouver

Ma gueule jamais lavée

Mes ongles rongés de boue

Lorsque je me tiens debout

À votre épaule très chaude

Ma langue pend j'ai faim l'ode

Mauvaise me met en soif

Que toute une vie radieuse

Me fut donnée mais lépreuse

La fis pour mourir au coin

Noir du paradis des chiens.

 

Jean-Philippe Salabreuil, La Liberté des feuilles,

collection "Le Chemin", Gallimard, 1964,

p. 63-65.

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08/06/2012 | Lien permanent

Jean-Philippe Salabreuil, L'inespéré

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    Au corps perdu de la beauté

 

 Ô dans l'obscur délice de l'issue

Vers toi qu'est-ce qui soudain m'illuminait

D'une brûlure graciée lorsque je sus

Qu'il est au-delà du suffocant ressaut de neige

Dans l'être le feu d'un monde qui se leva ?

Mais regarde une fois encore (et tu vas

Te fermer bientôt sur l'or de la vie

Comme l'œil noir de l'eau) mes yeux sont dans la mort !

Je te vois n'ai-je su te ravir à toi ravie

Déjà que tu étais d'une aile blanche au corps

Perdu de la beauté au creux de terre

Et ne t'aimerai-je plus jamais en ce monde clair ?

À moi fermée ! ne me regarde plus demeure

Une porte d'or close au fond des cieux meurs

Heureuse de m'aimer mourir de moi aimée

(Je te veille en ta nuit veille à mes jours mais

Ne te sois pas rouverte aux neiges de l'oubli

Quand je te rejoignais te rouvrir accomplie)

Et dans le blanc délire de l'essor

En moi de ces lys en démence vers elle

Était un ange d'or qui parmi le réel

Voluptueux et noir a brillé comme l'aurore

Éclairant de ses dons les panneaux condamnés !

J'allais dans les feux de la voûte où sont nés

Les nuages dorés du rêve (ils montent

Leurs yeux clos dans la gloire éternelle mais

Jamais s'éveilleront-ils ?) dans les anneaux du monstre

Où l'âme a reconnu la crypte du secret !

Qu'est-ce alors qu'il n'y eut plus que moi parmi

Les régions neigeuses de l'étoile ennemie ?

Alors à l'extrême le mur éternel blanc

Chanta comprenant une porte qui chante

Et s'ouvre dans le noir à l'état du soleil

(Une flamme s'élevait qui fut toi) merveille

Que ce feu dans le froid de la mort quand nous

Fûmes ce feu ô l'astre où les âmes renouent !

 

Jean-Philippe Salabreuil, L'inespéré, collection "Le Chemin",

Gallimard, 1969, p. 93-94.

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15/06/2012 | Lien permanent

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

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              26 décembre 1962

 

 

Désespoir en un mot qui ne tinte jamais

Par les prairies brumeuses du poème

On ne voyait dans l’ombre qu’ombres silencieuses

Qui marchent qui s’écartent et renouent quand il gèle

 

Averse blanche de la lune comme d’une âme

Un peu de neige ou le trop plein d’une fontaine

Et le désespéré chantait encore à la Noël

Pour ce qu’il y découvrait déjà d’aubes lointaines

 

Mais ce parfum d’avril au pied des pins la femme

Odorante aux résines de lumière et tel

Un soleil vivace l’enfant qui pardonne ses branches mortes

À l’aubépine ô veillées de la mort maintenant que m’importe ?

 

 

                    Je suis là

 

Vous me croyez vivant

Je laisse mes yeux ouverts

Je regarde la nuit

Et je sais pour vous plaire

Y poster deux hiboux

Je les poudre d’étoiles

Et les chemins sont fleuves

Entre berges de boue

Je suis là je murmure

Et ces mots vous comprennent

Comme comprend le vent

Ce mélèze où nous sommes

Inondés de fraîcheur

Mais moi je suis ailleurs

Je ne suis pas vivant

Je suis mort et transi

Je ne suis pas ici

Simplement je vous parle

Et vous écoutez sans savoir

Combien ces choses sont lointaines

Combien me font ces feuillages d’ennui

Qui nous dépassent dans la nuit

Et demain seront les traces

De mes pas dans l’autre nuit.

 

 

 

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, Gallimard, « Le Chemin », 1964, p. 51 et 9.

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15/01/2012 | Lien permanent

Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin

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                          Suite vi

 

les dieux meurent plus facilement que les hommes

venant après les uns parmi les autres ou dans

la plus absolue des solitudes c’est égal

 

là où ne s’opposent l’air et le geste

matière engendrée du souffle et de la main

nulle matière avant cette dernière

comme ce que peut la main en traçant

l’unicité d’un dessin que la couleur habite

ou non (un oui toujours en son agilité)

le poème de la main et du souffle en

gendré ne crée pas autre mystère — outre

 

 

substituer aux chefs-

d’œuvre toute agitation des organes

investis dans l’acte que l’on nomme

(air ou geste sont communs à chacun

le larynx les membres produisent en

multitude) est crime des tribus

mais le tableau est là écho

de son poème où il s’échappe aux soirs

bruyants de nos angoisses

 

[...]

Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin, La

Lettre volée, 2016, p. 51-52.

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23/02/2016 | Lien permanent

Andrea Zanzotto, Idiome, Traduit par Philippe Di Meo

 

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                                         Écoutant depuis le pré

 

Sur la touche, le doigt anéanti insiste

sur une note toujours ratée

et pourtant inhumainement juste

  au-delà de tout exemple réussie

Une note, jusqu’à ce que sang soit le doigt,

puis, il s’estropie, en un mouvement

  de trille raté

au-delà de tout exemple

néanmoins reréussi

Rayonnant depuis toute chose, une offre infinie

parvient sur cette note, sur ce doigt

énervé, et d’ailleurs depuis longtemps anéanti,

qui veut la prendre en charge, donner crédit

  à une partition universelle possible,

déverser d’une bande enregistrée

dans une autre

non moins mythique instrument

Une adresse ou une déclaration d'expéditeur

insistante comme bec de pic-vert,

c’est sur ce doigt que tape l’offre,

  sienne-unique, de rien-du-tout, qui n’allèche rien,

  et, toujours creusant sur cette touche,

  et toujours la ratant, dans la déserte

réalité, qui par ailleurs s’affine comme matin,

son obstination contre tout pourquoi,

son inépuisable ni existible pour qui, pour quoi,

  ajuste, devine

 

 

Ascoltando dal prato

 

Insiste il dito annichilito sul tasto

in una nota sempre sbagliata

eppure disumanamente giusta

  al di là di ogni esempio azzeccata

Una nota fino a che sangue è il dito

e poi si azzoppa in uno sbagliato

  movimento di trillo

  al di là di ogni esempio

  tuttavia riazzeccato

Un’infinita, irraggiante da tutto, offerta

arriva su quella nota, su quel dito

innervosito, anzi da tempo annichilito,

che vuol farsene carico, dar credito

  a un possibile universale spartito

  riversare da un nastro registrato

  a un altro

  non meno mitico instrumento

Un indirizzo o un’una dichiarazione di mittente

come becco di popicchio insistito

è in quel dito cha batte l’offerta

  sua-unica, da-nulla, che nulla alletta

  e che scavando per sempre in quel tasto

  e sbagliandolo sempre, nella deserta

realtà che per altro come mattina s’affina,

la sua ostinazione contro ogni perché,

il suo per chi per che non mai esauribile

  né esistibile assesta, indovina

 

 

Andrea Zanzotto, Idiome, traduction de l’italien, du dialecte haut-trévisan (Vénétie)  et préface par Philippe Di Meo, José Corti, 2006, p. 36 et 37.

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16/05/2015 | Lien permanent

Philippe Beck, iduna et braga. de la jeunesse

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F / Un refus

 

Comme le vaisseau qui souffre et, de la poupe à la proue, a besoin de chants pour évoluer sur les cartes mouvantes, miroirs incertains, ou des sables au relief de pierre de rosette, ainsi l’esprit jeune (plein des vieillesses relatives) complète le Oui et le Non contre les zonages de la traversée. Contre le principe de Geulincx. L’intensité refusante et inquiète voit du bateau ce qu’il n’est pas (la mer mal reposée, la terre qui l’entoure entourée) et océanise l’œil qui multiplie les canots et les périssoires : le pont zoné est le Refusé Avançant. Le poème est l’idée de l’intense complément, à côté des tempes grises chantées, ou d’une intensité que parachève l’impossible accord avec les choses en l’état, doucement ou rudement ; le dégrossi relatif est devant. Le refus est affaire de phrases précises et exactes dans le bois. La jeunesse caractérise une poésie du refus.

 

Philippe Beck, iduna et braga. de la jeunesse, Corti, 2017, p. 49-50.

 

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07/02/2017 | Lien permanent

Philippe Beck, iduna et braga de la jeunesse

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Chapitre 2. De l’école à l’impression. L’éditeur et l’apparition.

 

Le passé ne choisit pas. Il s’édite ou s’imprime. Le peuple des écrivains acceptés (enregistrés, conservés) et isolés est une communauté d’efforts employés. La bibliothèque en forme l’image bizarre : des êtres côte à côte (des boîtes arrêtées) aident les silhouettes qui apparaissent, et les ombres consistantes qui tendent les bras en cherchant. Les volumes qui se partagent l’espace imaginé marquent les vergers circulants (les silhouettes consolidées). Chercher un livre, c’est apparaître devant lui. Mais le peuple des auteurs (des noms autorisés) assemble les textes apparus pour éduquer des nouveau-nés. L’état du lecteur face aux œuvres classées est donc l’état du nouveau-né continué ; il explique la fascination désarmée, le rêve de partager une force (une autorité), et l’obéissance, mêlée de respect, aux hommes qui nomment l’effort pour être majeur, pour apparaître dans un monde. (Dante élabore un babil enseignant pour soustraire à la torpeur sans rêve d’être soumis à la bible du passé fermé. Le geste neuf est d’un parlant commençant et impressionné — d’un apparaissant frère et descendant.) Or, un tel arrachement à l’état du désarmé est le but d’une transmission forcée. L’autorité sans fraternité est la tentation de l’éducateur lettré, qui réalise la tradition. L’éditeur des classiques éduque sans forcer ; il propose des textes, les dispose aux lecteurs en puissance de pensée. Il vaporise des condensés circulants et pense en démocrate. Un désir despotique d’imposer la nuée des modèles (et ses orages possibles) aux âmes tendres à l’école détruit l’idée de l’égalité.

[…]

 Philippe Beck, iduna et braga de la jeunesse, Corti, 2017, p. 27-28.

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23/02/2017 | Lien permanent

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

 

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Lied aux ombres d’hiver

 

Un matin le vent traverse les cendres

Du jeune jour maigre et ce sont

Comme d’anciens temps gris qui recommencent

Où sans rimes ni raisons

Nous vivions de beau silence

Et de belle folie.

 

Tu me regardes et si je te délie

Maintenant des chanvres de froide pluie

Sans doute vas-tu sourire et que luise

un instant l’âme lointaine j’épuise

Au souffle court ce vieil été d’aubes moisies

 

Tu n’échapperas plus au verger de mes mains

Le ciel gris passe entier parmi les doigts des morts

Ensemble souviens-toi de cette forêt torte

Nous l’avons fait pencher jusqu’aux eaux du matin

Je me souviens je t’aime et me souviens

 

Il y avait encore une prairie

Fleurie de larmes et d’abandons

Nous en avons sur nous fermé la grille

Est-il passé depuis tant de saisons ?

Sommes rentrés dedans mille et mille matins

Depuis le temps le temps que je t’ouvre mes mains.

 

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, « Le Chemin », Gallimard, 1964, p. 45.

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01/03/2015 | Lien permanent

Andrea Zanzotto, Idiome, traduction Philippe Di Meo

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                    Petits métiers

 

Comment puis-je oser

vous appeler ici, vous faire signe de la main.

Une main qui n'est plus que son ombre

avare et mesquine,

et d’ailleurs une serre, mais tendre comme de la mie de pain.

Et pourtant, quelque chose maintenant la soutient,

je ne sais s’il s’agit d’une crampe ou d’une force :

pour autant qu’elle vaille, elle est toute vôtre,

vous lui donnez-lui la force de vous appeler.

Donnez-lui une plume qui ne se torde,

faites que sa pointe ne trébuche sur la feuille.

Il me semble n’avoir rien à écrire

pour commencer ce télex

qui doit tout le néant traverser

(la brûlante difficulté

qui brûle comme soufre,

qui corrode, étourdit.)

Mais j’essaierai de suivre la trace, au moins, d’un amour —

en dehors, là dans l’obscurité

profonde des prés du passé.

Ainsi

.....................................

[                                          ]

 

Ainsi sous la cheminée presque éteinte,

si un garçonnet regardait

à travers cette minuscule petite fenêtre aveugle

vers le soir encore claire

parmi la suie

(ah quel beau bleu, quel argent,

quels frissons d’hiver éblouissants

de neige et de lumière à cette petite fenêtre) :

qui passait donc, qui frappait

sur cette vitre, et disparaissait

je ne sais si boitant ou dansant ;

grands-mères, était-ce eux tous, les gens de votre temps

avec leur faim de chicorées, avec leur soif

de piquette, avec des travaux qui

leur avaient tordu toute la figure

jusqu’à presque en modifier la nature ?

Mais avec moi, garçonnet, quels joyeux lurons

et que de bonne humeur, et toujours bons...

Et je les vois, me semble-t-il, faire turlututu

cligner de l’œil dans ma direction, rire subtilement, puis me   dire  salut...

 

Andrea Zanzotto, Idiome, traduit de l’italien, du dialecte haut-trévisan et présenté par Philippe Di Meo, Corti, 2006, p. 145, 147 et 149.

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23/02/2015 | Lien permanent

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