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16/06/2014

Véronique Pittolo, Toute résurrection commence par les pieds

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                              L'art catastrophique

 

Il y a des jours artistiques et des jours non artistiques.

 

Les jours ordinaires tu ne peux qu'observer le réel, sans plus,

ton cœur n'est pas soulevé. Quand tout va bien l'art est un surplus, une excroissance, une évasion futile. Les réflexions sur

le féminisme, on s'en fiche. Dans de tels moments, à quoi sert la

perruque de Marie-Madeleine ?

L'art ne répond plus à la question :

                                                          Qu'est-ce que l'art ?

 

Dans les situations de guerre, explosions, attentats, il sert à

peine à disposer des fleurs dans un vase, n'emballe plus, n'est

plus cosmétique.

 

Imaginez qu'un pot de fleurs vous tombe sur la tête, c'est un

désordre intéressant pour les yeux, le regard artistique aime ces anecdotes.

Depuis le 11 septembre, la guerre est devenue un enjeu majeur

libérant un grand nombre de pulsions. Les artistes veulent

reproduire la catastrophe, photographier les victimes, assembler

les horreurs avec du scotch.

Ils disent que c'est un monde nouveau, qu'il faut s'y habituer.

D'autres persistent à peindre avec une consistance de yaourt

des hommes à têtes de lapins, des barbies exagérées.

 

Véronique Pittolo, Toute résurrection commence par les pieds, éditions de l'Attente, 2012, p. 115.

 

21/01/2013

Véronique Pittolo, Toute résurrection commence par les pieds

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Les Époux Arnolfini, Jan Van Eyck, 1434, National Gallery, Londres

 

                                   Le couple

 

Il est difficile de montrer l'amour en peinture.

Deux mannequins face à face ? (Non.)

L'art explique certains phénomènes comme la création du monde, une nymphe accompagnant un satyre dans une clairière, c'est tout.

Dans la vie, on ne passe pas son temps dans les sous-bois à déclamer les beautés de la nature, si on veut représenter le couple.

Il faut des exemples dans la vie.

Dire que ce bleu est unique parce que le couple est beau sous le ciel.

 

Comment comprendre le mécanisme de l'amour dans l'art ?

 

La Ronde de Matisse entre dans la catégorie des amoureux amortis, le peintre ne montre pas les sentiments, il propose une ambiance, une chose teintée...

On se dit Quel beau tableau ! et on aime le plus beau sujet du monde.

 

À l'origine brillait une chambre double réservée à un couple libre, éblouissant, un rêve de paléontologue : l'homme et la femme dans une chambre où tout est parfait, complet, suspendu, le lit, les chaussons, la respiration.

On peut toucher les tissus, regarder le miroir légèrement déformant mais valorisant, la chambre devient une vitrine où s'expose un sang spécial.

Si Madame Arnolfini n'est pas finie, ce n'est pas grave, son ventre suffira à laisser une trace dans le monde.

Si vous le prenez en photo, il bouge.

 

Aujourd'hui, le couple est mis en scène dans de multiples situations, dans les relais et châteaux, les magazines people, sur la plage, en forêt.

Il suffit de l'observer pour comprendre la difficulté à le peindre.

Le coule moderne a quitté la dentelle pour s'en tenir à des mœurs libres avec égale responsabilité des sexes.

 

On ignore si les Grands Époux appartiennent à la nature ou à la culture parce que le couple est un sujet inépuisable, pas seulement pour les historiens d'art. S'il gaspille les forces de l'humanité,

on ignore qui est responsable de ce gaspillage.

 

Sans peaux de bête, juste un peu d'ombre pour se reposer, il fut innocent un jour.

 

Petit à petit, il s'embourgeoise dans la version flamande, l'homme tient la main de sa femme tout en fourrure et cornes de dentelle. À la sortie de l'église les mariés seront photographiés de cette manière, en noir et blanc.

Ainsi le couple est un sujet banal qu'il faut savoir évoquer comme personne, ne pas dire seulement que Monsieur est un peu plus grand ou qu'il va féconder sa partenaire. L'exubérance du principe mâle est remise en question à chaque époque.

 

Un couple qui se sépare n'aime pas être fixé, il prend des témoins, un avocat, et quand les témoins disparaîtront, on ne saura plus rien de Monsieur et Madame, les moments esthétiques et les plus nostalgiques... rien.

 

Véronique Pittolo, Toute résurrection commence par les pieds, éditions de l'Atente, 2012, p. 77-78.