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04/02/2015

Robert Duncan, Passages & Structures, traduction Serge Fauchereau

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           Allons, que je me délivre

 

Allons, que je me délivre de tout ce que j’aime.

Que je délivre de moi tout ce que j’aime et que je lui donne sa liberté.

Car je veux obéir sans être attaché,

servir comme je sers.

 

Allons que je me délivre de ce maître que je me suis donné

que je doive alors prendre mesure

     de toute rectitude,

de toute justice. Aujourd’hui.

 

Je suis en route, près de la route,

je fais de l’auto-stop. Mais, d’un côté,

comme je suis heureux que personne ne soit passé.

Car je suis à un tournant. Je suis chez moi

au soleil. Je n’attends pas, je suis là, debout.

 

Et d’un autre côté, j’attends,

d’être en route, que ce soit ma route.

Je suis impatient.

 

Oh que je sois à présent délivré de ma route,

pour tout ce que je m’attache

  et je m’attache ce que j’aime, 

          chaînes et parages rassurants —

laissons partir ces choses aimées et moi avec.

Car je suis en travers de la route, ma destination barre la route !

 

Robert Duncan, Passages & Structures, traduit de l’américain et présenté par Serge Fauchereau, Christian Bourgois, 1977, p. 57.

04/11/2011

Philippe Soupault, Georgia, Épitaphes, Chansons

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                           Frères aveugles

 

Pensez à tous ceux qui voient

vous tous qui ne voyez pas

où vont-ils se laissez conduire

ceux qui regardent leur bout de nez

par le petit bout d'une lorgnette

Pensez aussi à ceux qui louchent

à ceux qui toujours louchent vers l'or

vers la mer leur pied ou la mort

à ceux qui trébuchent chaque matin

au pied du mur au pied d'un lit

en pensant sans cesse au lendemain

à l'avenir peut-être à la lune au destin

à tout le menu fretin

ce sont ceux qui veillent au grain

Mais ils ne voient pas les étoiles

parce qu'ils ne lèvent pas les yeux

ceux qui croient voir à qui mieux mieux

et qui n'osent pas crier gare

Pensez aux borgnes sans vergogne

qui pleurent d'un œil mélancolique

en se plaignant des moustiques

Pensez à tous ceux qui regardent

en ouvrant des yeux comme des ventres

et qui ne voient pas qu'ils sont laids

qu'ils sont trop gros ou maigrelets

qu'ils sont enfin ce qu'ils sont

Pensez à ceux qui voient la nuit

et qui se battent à coups de cauchemars

contre scrupules et remords

Pensez à ceux qui jours et nuits

voient peut-être la mort en face

Pensez à ceux qui se voient

et savent que c'est la dernière fois

 

Philippe Soupault, Georgia, Épitaphes, Chansons, préface de Serge Fauchereau, Poésie / Gallimard, 1984, p. 254-255.