23/10/2013
Serge Essénine (1905-1925), La chanson du pain
La chanson du pain
La voici, l'austère atrocité
Ou tout le sens est : « Souffrances pour les gens ! »
La faucille coupe au cou les épis pesants,
De même que sous la gorge els cygnes sont étranglés,
Nos campagnes, et leur mois d'août de tremblements
Dans l'aube, on les connaît depuis longtemps.
Les gerbes, on tricote dans la paille leur pansement
Et chacune est cadavre jaune gisant.
Sur des chariots semblables à des catafalques
On les porte au mortuaire caveau des granges.
Braillant sur sa jument, le cocher, tel un diacre,
Respecte la classe de l'enterrement.
Lors, sans rien de méchant, précautionneusement,
Au long du sol on les prosterne, tête après tête ;
Puis avec des fléaux on va chassant
Leurs os maigrelets hors leur chair maigrelette.
À nul homme il ne vient à la tête
Que cette paille, elle aussi, est de la chair ;
Au moulin, ce mangeur de chair,
On livre en pleines dents ces os à broyer.
Avec l'être vivant broyé on fait une pâte,
On en pétrit un tas de choses délicates.
Et, blondâtre, un poison dépose les œufs du Mal
Dans le broc de l'estomac.
Tous les coups de faucille sur la cuisson sont coloris.
Dans le suc de la mie toute la bestialité des moissonneurs.
Qui mange de cette chair, le froment
Dans le meules de ses intestins est empoisonnement.
Le printemps qui siffle en ce pays,
C'est le tueur, le charlatan, le bandit,
Et cela parce que els épis appesantis
Par la faux sont coupés comme est coupée la gorge des cygnes.
Serge Essénine, dans Quatre poètes russes, V. Maïakovsky, B. Pasternak, A. Blok, S. Essénine, édition bilingue, texte présenté et traduit par Armand Robin, éditions du Seuil, 1949, p. 87 et 89.
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29/08/2012
Serge Essénine, La Confession d'un voyou, dans Quatre poètes russes
La confession d’un voyou
Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter
Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme
Tombant aux pieds d’autrui.
Ci-après la toute ultime confession,
Confession dont un voyou vous fait profession.
C’est exprès que je circule, non peigné,
Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules.
Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer
L’automne sans feuillage de vos âmes.
C’est un plaisir pour moi quand les pierres de l’insulte
Vers moi volent, grêlons d’un orage pétant.
Je me contente alors de serrer plus fortement
De mes mains la vessie oscillante de mes cheveux,
C’est alors qu’il fait si bon se souvenir
D’un étang couvert d’herbes et du rauque son de l’aulne
Et d’un père, d’une mère à moi qui vivent quelque part,
Qui se fichent pas mal de tous mes poèmes,
Qui m’aiment comme un champ, comme de la chair,
Comme la fluette pluie printanière qui mollit le sol vert.
Ils viendraient avec leurs fourches vous égorger
Pour chaque injure de vous contre moi lancée.
Pauvres, pauvres paysans !
Sans doute vous êtes devenus pas jolis
Et toujours vous craignez Dieu et les poitrines des marécages.
Oh ! si seulement
Vous pouviez comprendre qu’en Russie votre enfant
Est le meilleur poète.
Craignant pour sa vie, n’aviez-vous pas du givre au cœur
Lorsqu’il trempait ses pieds nus dans les flaques d’automne ?
Il se promène en haut de forme aujourd’hui
Et en souliers vernis.
[...]
Serge Essénine, dans Quatre poètes russes, V. Maïakovsky, B. Pasternak, A. Blok, S. Essénine, texte russe présenté et traduit par Armand Robin, éditions du Seuil, 1949, p. 59-61.
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