Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/02/2023

Armand Robin, Lemonde d'une voix

Unknown.jpeg

Premier amour

 

Moi

Je ne vous prendrai même pas la main. J’ai besoin seulement de vous faire une déclaration d’amour… non pas d’amour dans le ciel ni sur terre… d’amour dans le néant qui suivra mon cœur arrêté, d’un amour que trente ans je ne sentirai même pas, d’un amour que seul un peu de cœur éphémère imagera d’éternité.

 

Elle

Je ne suis qu’une pauvre fille. Je ne fus jamais que cruelle envers vous et je sais que jamais je ne pourrais être que cruelle envers vous.

Je suis une créature comme toutes les autres.

 

Moi

Mais votre voix muettement est douce.

 

Elle

Je ne veux pas de l’apparence que l’imagination me donne.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard 1968, p. 86.

30/05/2016

August Strindberg, Le Fils de la servante

 

                                        37325_b_8085.jpg         

                                       Premier amour

 

   Si le caractère de l’homme se compose finalement du rôle qu’il choisit de jouer dans la comédie de la vie sociale, Johan fut […] celui qui manquait le plus de caractère ; cela veut dire qu’il était passablement sincère. Il cherchait, ne trouvait rien et ne pouvait s’arrêter à rien. Sa nature brutale, qui rejetait tous les harnais qu’on rentait de lui imposer, ne se pliait pas et son cerveau, qui était né rebelle, ne pouvait pas devenir automatique. Il était un miroir qui renvoyait tous les rayons qui le frappaient. Un ensemble de toutes sortes d’expériences, d’impressions diverses et bourré d’éléments contradictoires.

   De la volonté, il en avait mais elle travaillait par à-coups et le faisait alors avec fanatisme ; en même temps, il ne voulait au fond pas grand-chose ; il était fataliste, croyait à la malchance ; il était optimiste et espérait tout. Dur comme la glace, à la maison, il était entre-temps sensible jusqu’à la sensiblerie ; il aurait pu entrer sous un porche et retirer sa veste pour la donner à un pauvre, il pourrait pleurer à la vue d’une injustice. Sa vie sexuelle, à laquelle il avait mis fin depis qu’il avait découvert le péché, se déchainait maintenant la nuit dans ses rêves qu’il attribuait au diable et contre lesquels il appelait Jésus en aide. Il était désormais piétiste ; sincère ? Aussi sincère que quelqu’un peut l’être en voulant se pénétrer d’une vision du monde périmée.

[…]

 

August Strindberg, Le Fils de la servante, dans Œuvres autobiographiques, I,éditon C. G. Bjurström, mercure de France, 1990, p. 162-163.