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24/11/2014

James Joyce, Brouillons d'un baiser, traduction Marie Darrieussecq

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                           [Portrait d'Iseult]

 

   Côté prudence, elle laissait toujours la clé de son armoire dans la serrure de son armoire, la plume de son encrier dans le col de son encrier, le pain sur la plaque tiède. Jamais ils ne se perdaient. Elle était loin d'être cruche & on ne l'avait jamais prise à mentir. Côté instruction en géog elle savait que l'Italie est une botte cavalière, l'Inde un jambon rose & la France un plaid en patchwork, et elle pouvait dessiner la carte de la Nouvelle-Zélande, île du N & du S, toute seule. Côté instruction en zoog elle connaissait l'agneau, l'agneau un jeune mouton. Côté charme elle savait faire  démonstration de ses jambes en bas couleur chair sous une jupe aussi droite que possible dans les diverses positions d'une Sainte Nitouche, Tatie Nancy, escabeau beau beau montre-moi tes cornes, petits pois, comète jolie, je t'aime un peu beaucoup, drôle de tartine, aime-moi mon amour, mon levier pour toujours.

   Côté santé elle fut la seule de la maison à avoir la rougeole & quand elle était bébé au biberon tous ses amis admiraient ses anglaises.

   Côté arts ménagers elle ramonait la cheminée en mettant le feu à un Irish Times et en le fourrant flambant dans le conduit et elle lavait le hall en posant son parapluie ouvert mouillé et ses galoches en cailloutchou dégouttièrant dans un coin. Bon dieu, ça y allait avec elle, Bon Dieu, ça y allait bien !

 

James Joyce, Brouillons d'un baiser, Premiers pas vers Finnegans Wake, réunis et présentés par Daniel Ferrer, Préface et traduction de Marie Darrieussecq, 2014, p. 65.