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27/03/2017

Jean-René Lassalle, Rêve : Mèng — recension

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   On connaît Jean-René Lassalle traducteur de poètes allemands contemporains — récemment Oswald Egger, avec Rien, qui soit —, et quand on lit ses traductions on ne peut ignorer que lui-même écrit. Rêve : Mèng est présenté par son auteur comme un livre d’hommage à la poésie classique chinoise, écrite du viie au ixe siècle. Une première partie donne, chacun dans un carré, 4 textes en idéogrammes, chacun de 5 vers de 5 mots, suivis chaque fois, également dans un carré, de leur transcription dans notre alphabet, puis de la traduction mot à mot, la longueur des syllabes étant transposée en français.

   Une seconde série de poèmes en chinois est proposée, toujours en carré, écrite par Jean-René Lassalle, « Avec une langue dans laquelle on n’a pas vécu, c’est le rêve qui se poursuit. » Mais, cette fois, la traduction mot à mot est un point de départ pour l’écriture et quatre poèmes sont proposés à partir de quatre modes de lecture indiqués en fin de recueil :

« horizontal (de la première à la dernière ligne, de droite à gauche), palindromique (de la dernière à la première ligne, de droite à gauche), vertical (en colonne de gauche à droite), en spirale ( de la première ligne à gauche jusqu’au mot du centre). »

   Le point de départ, pour la dernière étape (transposition en français) donne pour les deux premières lignes du poème "Gare jaune : Huáng zhàn" :

 

gare     tot        part      trace     route

jaune     fleurs     fond     brume     ans

 

— les tons sont indiqués pour chaque mot afin d’introduire dans la prononciation, autant que faire se peut, quelque chose de la mélodie chinoise.

   Il s’agit donc d’écrire à partir d’une contrainte, pas plus forte ni plus arbitraire que celle qui régit le sonnet ou la ballade ; on pourrait penser aux règles de l’Oulipo, mais ici la recherche formelle passe par une langue dont la grammaire n’a pas grand chose à voir avec celle du français, et le cheminement de Jean-René Lassalle consiste à travailler aussi cette différence de relation de la langue au monde. Il aboutit à trois séquences de 5 vers et une de 4, en retenant du poème de départ tel mot (« gare », « fleurs »), ou bien il emploie ce que l’on désigne communément par synonyme (partir / démarrer), mais qui modifie la vision ; pour le début de la lecture horizontale :

 une gare démarre pour bâtir une voie

fleurs jaunes au fond d’années de brouillard

 

Les différents jeux de variations font entrer dans un univers parallèle, non pas donné, plutôt à construire par le lecteur ; ainsi pour la lecture en mode vertical :

l’escale dorée dote, c’est une escale-vents

ombelles de gourdes matines furètent début de cycle (etc)

 

   Il faudrait évidemment ne pas citer de vers en exemple : chaque poème est formé de l’ensemble rapidement décrit ici, depuis les idéogrammes jusqu’à la dernière séquence en mode spirale. C’est d’ailleurs le tout, c’est-à-dire les 4 « nouveaux carrés chinois », écrits par Jean-René Lassalle, qui, en regard (en miroir) des 4 carrés des poètes Tang (titrés « dans le style ancien »), constitue un hommage à une poésie trop peu connue. En outre, l’un et l’autre groupement de poèmes lient un passé lointain au présent par la reprise des contraintes (5 vers de 5 idéogrammes / mots dans un carré), formant un texte dont on isole difficilement un fragment, jeu du passé-présent qui donne son sens au titre, "Mèng" signifiant « rêve ».

Jean-René Lassalle, Rêve : Mèng, éditions Grèges, 2016, 70 p., 12 €.

Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 2mars 2017.

 

 

 

 

23/11/2016

Che-Tô (fin du sème siècle)

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Nulle part je n’habite.

Je couche dans l’Absolu,

Je grimpe au Nirvâna :

Au temple du bois d’encens,

   je joue.

 

Le plus souvent, je fais sans faire.

Fortune et renom ? Bulles d’illusion.

Si même l’océan se couvrait de mûriers,

Nos esprits ne sauraient se rencontrer.

 

Che-Tô [fin du vie siècle, dans La Montagne

Vide, Anthologie de la poésie chinoise, IIIe-XIe s.,

traduction P. Carré et Z. Bianu, Albin Michel,

1987, p. 52.

08/03/2016

Li Yu (937-978), Paroles, une vie de souverain

laurence-binyon-1869-1943-les-peintures-chinoises-dans-les-collections-d-angleterre-vanoest-paris-bruxelles-1927-80-ill-ars-asiatica-ix-patronage-de-l-école-française-d-extrême-orient.jpgLessive dans le sable du ruisseau

 

À trois coudées, le soleil rouge se lève.

Déjà il frappe.

L’encens, aux formes animales,

Glisse, fragment après fragment,

Dans le réchaud précieux.

 

Des plis déforment le tapis de soie rouge.

Des pas l’ont entraîné.

Une épingle d’or a chu au milieu de la danse

De la beauté.

 

Souvent les doigts agrippent le pistil

Aromatique, le vin fait mal.

Dans l’autre pièce, on tend jouer flûtes et tambours.

                                           Loin.

 

Li Yu (937-978), ''Paroles, une vie de souverain'', traduction du chinois et présentation de Thierry Faut, dans L’Étrangère, n° 40-41, décembre 2015, p. 103.