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10/09/2013

Émile Verhaeren, Poèmes [Les Soirs - les Débâcles - Les Flambeaux noirs]

 

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                               Les villes

 

Odeurs de suifs, crasses de peaux, marcs de bitumes !

Tel qu'un grand souvenir lourd de rêves, debout

Dans la fumée énorme et jaune, dans les brumes

Et dans le soir, la ville inextricable bout

Et coule, ainsi que des reptiles noirs, ses rues

Noires, autour des ponts, des docks et des hangars,

Comme des gestes fous et des masques hagards

— Batailles d'ombres et d'or — bougent dans les ténèbres.

Un colossal bruit d'eau roule, les nuits, les jours,

Roulent les lents retours et les départs funèbres

De la mer vers la mer et des voiles toujours

Vers les voiles, tandis que d'immenses usines

Indomptables, avec marteaux cassant du fer,

Avec cycles d'acier virant leur gélasines,

Tordent au bord des quais — tels des membres de chair

Écartelés sur des crochets et sur des roues —

Leurs lanières de peine et leurs volants d'ennui,

Au loin, de longs tunnels fumeux, au loin, des boues

Et des gueules d'égout engloutissant la nuit ;

Quand strident tout à coup de cri, stride et s'éraille :

Les trains, voici les trains broyant les ponts,

Les trains qui sont battant le rail et la ferraille,

Qui vont et vont mangés par les sous-sols profonds

Et revomis, là-bas, vers les gares lointaines,

Les trains, là-bas, les trains tumultueux — partis.

 

 

Émile Verhaeren, Poèmes [Les Soirs - les Débâcles, Les Flambeaux noirs], Mercure de France, 1920, p. 171-172.