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29/04/2019

Paul Éluard, Cours naturel,

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                     Novembre 1936

 

Regardez travailler les bâtisseurs de ruines

Ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes

Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur terre

Ils sont au bord de l’homme et le comblent d’ordures

Ils plient au ras du sol des palais sans cervelle.

                               *

(…)

                               *

Parlez du ciel le ciel se vide

L’automne nous importe peu

Nos maîtres ont tapé du pied

Nous avons oublié l’automne

Et nous oublierons nos maîtres

 

Paul Éluard, Cours naturel, dans Œuvres complètes, I,

Pléiade / Gallimard, 1968, p. 801.

05/05/2014

Pier Paolo Pasolini, La rage

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   Ainsi tandis que dans un coin la culture de haut niveau devient de plus en plus raffinée et réservée à quelques-uns, ces « quelques-uns » deviennent, fictivement, nombreux : ils deviennent « masse ». C'est le triomphe du « digest », de l'« illustré » et, surtout, de la télévision. Le monde déformé par ces moyens de diffusion, de culture, de propagande, devient de plus en plus irréel : la production en série, y compris des idées, le rend monstrueux.

   Le monde des magazines, du lancement à l'échelle mondiale des produits, même humains, est un monde qui tue.

   Pauvre, tendre Marilyn, petite sœur obéissante, accablée par sa beauté comme par une fatalité qui réjouit et tue.

   Peut-être as-tu pris le bon chemin, nous l'as-tu enseigné. Ton blanc, ton or, ton sourire impudique par politesse, passif par timidité, par respect envers les adultes qui te voulaient ainsi, toi, restée gamine, voilà ce qui nous invite à apaiser la rage dans les pleurs, à tourner le dos à cette réalité maudite, à la fatalité du mal.

   Car : tant que l'homme exploitera l'homme, tant que l'humanité sera divisée en maîtres et en esclaves, il n'y aura ni normalité ni paix. Voilà la raison de tout le mal de notre temps.

   Et aujourd'hui encore, dans les années soixante, les choses n'ont pas changé : la situation des hommes et de leur société est la même qui a produit les tragédies d'hier.

   Vous voyez ceux-là ? Hommes sévères, en veste croisée, élégants, qui montent et descendent des avions, qui roulent dans de puissantes automobiles, s'asseyent à des bureaux grandioses comme des trônes, se réunissent dans des hémicycles solennels, dans des lieux superbes et sévères  ces hommes aux visages de chiens ou de saints, de hyènes ou d'aigles, ce sont eux les maîtres.

   Et vous voyez ceux-là ? Hommes humbles, vêtus de haillons ou de vêtements produits en série, misérables, qui vont et viennent par des rues grouillantes et sordides, qui passent des heures et des heures à un travail sans espoir, se réunissent humblement dans des stades ou des gargotes, dans des masures misérables ou dans de tragiques gratte-ciels : ces hommes aux visages semblables à ceux des morts, sans traits et sans lumière sinon celle de la vie, ce sont eux les esclaves.

   De cette division naissent la tragédie et la mort.

 

Pier Paolo Pasolini, La rage, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, introduction de Roberto Chiesi, NOUS, 2014, p. 18-19.