10/10/2025
Louis Zukofsky, A, "section 12"
D’un besoin profond
Surgissent
Quatre trompes, l’orgue dans la nef
Et un flambeau,
Ils scandent note à note le nom de bach,
Nuit — stries et crêtes des mélèzes — noir :
De mon corps vers d’autres corps,
Des anges ou des salauds, c’est au choix,
Qui feraient mieux de chanter et de raconter des histoires
Avant que tout cela ne devienne trop abstrait.
C’est ainsi = d’abord la forme
La création —
Une vapeur issue de la terre,
Toute la surface du sol ;
Et puis le rythme —
Et souffle le souffle de la vie ;
Et puis le style —
Qui de l’œil tire sa fonction — disons "le goût" — une âme vive —
D’abord le glyphe, puis le syllabaire,
Puis l’alphabet, mesurés par
La vue, fable sonore — D’abord la danse — Puis
La voix — D’abord le corps — percevoir et pulser à la fois.
Avant le néant il n’y avait ni
Être ni non-être ;
Du désir vint la chaleur,
Ou bien l’inverse ?
Alors les sages sondent leur cœur
Et cherchent ce qui est dans ce qui n’est pas.
Selon le cœur ou selon la tête ?
L’enquête dure depuis trois mille ans.
Louis Zukofsky, extrait de A-12, dans « A », section 12, traduction de Serge Gavronsky et François Dominique, édition Virgile, 2003.
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26/06/2012
André Suarès, Sur la vie
Suarès par Georges Rouault
Pensées du temps sans dates
Assurément, la poésie est un art en soi-même, et qui se suffit. De là, les surprises de la forme, les chefs-d'œuvre de l'expression et la beauté du métier : il peut être si fort ou si plaisant qu'on n'y résiste pas ; on cède à la fougue de l'artiste ou à son charme. Mais le métier le plus accompli ne donne pourtant pas cet accès aux sommets de l'âme, où est le lieu naturel de la grande poésie. Le rythme et la mélodie populaires ne sont pas plus la musique de Bach, que le plus savant contrepoint, si la pensée de Bach est absente. Pensée qui trempe toujours dans le sentiment.
Ni le métier seul ni la seule émotion ne font le grand poète. Il faut de la pensée, là comme ailleurs. Il n'est pas vrai qu'une citrouille bien peinte vaille l'École d'Athènes, mais il peut être vrai qu'un faux Raphaël d'Académie ne vaille pas une belle citrouille : c'est que les idées académiques ne sont pas plus vivantes, ni plus fécondes, ni plus propres à nous émouvoir et nous faire penser qu'une citrouille, une pipe au bord d'une table et une demi-guitare. On peut dire aussi de Chardin qu'il est plus peintre que Léonard de Vinci ou Rembrandt parce qu'il n'est que peintre. Rembrandt, Raphaël, Jean Fouquet sont de grands poètes qui s'expriment au moyen des couleurs et des lignes.
André Suarès, Sur la vie, essais, éditions Émile Paul, 1925, p. 287-288.
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