07/11/2012
Claude Chambard, Cet être devant soi
J'ignore l'année, j'ignore la saison, je ne sais quand la promesse n'a plus été tenue. Je criais dans le noir, tête bêche dans le lit, étouffé par l'édredon silourd, j'ouvrais les bras en vain. Je n'acceptais pas de vivre dans la terreur. J'ai perdu. C'est ainsi que je suis mort. C'est ainsi que j'ai ramassé mes vêtements & que je suis passé du côté des mortels. C'est ainsi que tu as fait mon portrait pour que je puisse avoir un visage & que je guérisse, que je guérisse d'Elle. Tu as dessiné mon visage quotidien, tu l'as apprivoisé, rendu possible, visible. C'est un visage qui me fait bon usage. Il se défraîchit un peu, mais c'est la suite des jours & des nuits tout simplement. Je sais maintenant qu'il n'y a pas de Paradis, que l'on peut vivre sans, que l'on peut aimer sans s'alarmer. Nous n'en savons rien — pourtant. Quand tu oublies je me souviens. Quand j'oublie tu te souviens. Hui, nous faisons ce qui est possible. C'est peu. C'est suffisant pour tenir l'un & l'autre au fil de mots communs.
*
Sur le motif
en haut de la colline
peinture à la plume
légèreté acérée
mordre le papier
entrer dans la matière
creuser le sillon
— nuées d'oiseaux blancs —
la ville qui dort toi
colombe verte
dans la chambre secrète
la moiteur des draps
autour du corps qui souffre
le gant de toilette sur le front
tu t'éveilleras légère
guérie des fracas de la nuit
en haut de la colline
sur le motif
Claude Chambard, Cet être devant soi, encres de Anne-Flore Labrunie, Æncrages, 2012, np.
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12/10/2012
Yaël Cange, L'en-allée
Ce que j'aime à la fin ?
« Pas de cœur. » C'est bien ce qu'on disait, non ? N'en quelles contrées déjà ? N'sais plus. Sauf qu'il y faisait froid : « Pas de cœur », pensez ! De quel regard Ah ! Doux regard en si fol appel de vous — ces mots m'auront privée ! Vous étiez — dès l'heure présente — toutes mes blessures à venir.
« Qu'une main vienne à se tendre » — peu de choses que j'ai demandé là ? Cela m'est — jusqu'à maintenant — tendresse apeurée. Comme autant d'étoiles qui finiraient de s'éteindre.
Qu'aucun, aucune — ne l'ait présagé seulement !
Au reste : longtemps — que je n'aime plus personne.
Mais si. Toi peut-être. À toi je peux parler. Imagine : « pas de cœur ». « Pas de cœur » — moi, ça ?
Toutes ces lyres, ces luths pourtant — qu'il croyait vous porter !
Ç'aurait dû se passer ainsi, non ?
[...]
*
Presque nuit déjà
Pourquoi diable — ce cri — qui me troue la gorge ?
Mais cet état — que ronces — ou fibres au-dedans appellent : de parfait abandon. L'avez-vous connu, vous ?
Serait temps, oui, de perdre cœur. Le mieux. Le meilleur ce serait, sans doute, contre un tel sentiment de tendresse blessée.
Yaël Cange, Pierre Cordier et Gundi Falk, L'en-allée, préface de Claude Louis-Combet, Bruxelles, La Pierre d'Alun, 2012, p. 35, 59.
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19/05/2011
Juan Rodolfo Wilcox, Les Jours heureux
La luna desciende de los plátanos inmóviles. Quererte
no es más que un gran silencio en las corrientes
de la noche indecisa.
Si alguien, tal vez, pasara con tu rostro,
si me preguntaran algo con tu voz,
oh indiferente ! todo
caería de pronto en el espacio,
me verían extendido alrededor de los árboles,
encerrando sus troncos como la neblina del crepúculo,
perdido en el fondo de las barrancas ;
alejado
por donde pasa la noche.
La lune descend des platanes immobiles. T’aimer
n’est qu’un grand silence dans les courants
de la nuit indécise.
Si quelqu’un, qui sait, passait avec ton visage,
si on me posait une question avec ta voix,
ô indifférent ! tout
tomberait subitement dans l’espace ;
on me verrait couché autour des arbres,
serrant leur tronc comme le brouillard du crépuscule,
perdu dans les escarpements enfoncés,
éloigné
par où passe la nuit.
Llevo un numéro sobre el corazón, un sello
de quererte, como si el silencio se inscribiera
profundamente en la carne ; y he discurrido
por galerías de hojas apasionadas, per caminos
que iban a dar al sol, gritando, arrancándote,
raspándote del alma. Oh si me fuera dado
no verte aparecer, inmutable,
allí donde nace el amor, como una imagen
en el fondo del agua !
Je porte un chiffre sur le cœur, un sceau
de t’aimer comme si le silence s’téait inscrit
dans la chair profondément ; et j’ai parcouru
des galeries de feuilles passionnées, des chemins
qui s’ouvraient au soleil, hurlant, s’arrachant,
te râpant jusqu’à l’âme. Ô s’il m’était donné
de ne pas te voir apparaître, immuable,
là où l’amour naît, comme une image
au fond de l’eau !
Juan Rodolfo Wilcox, Les Jours heureux [Los Hermosos días], traduction de l’espagnol (Argentine) et présentation par Silvia Baron Supervielle, Collection Orphée, La Différence / Unesco, 1994 [1946], p. 56-57 et 66-67.
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