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21/10/2013

Pouchkine, Un roman par lettres

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                           Un roman par lettres

 

I. Liza à Sacha

                                                            Pavlovskolé.

 

   Tu as sûrement été étonnée, chère Sachenka, de mon départ inopiné pour la campagne. Je me hâte de tout t'expliquer franchement. Mon état de dépendance m'a toujours été pénible. Il est bien vrai qu'Eudoxie Andréievna m'a élevée sans faire de différence entre sa nièce et moi. Mais j'étais tout de même dans sa maison une pupille, et tu ne peux pas imaginer combien de petites amertumes sont inséparables de cette condition. J'ai dû beaucoup endurer, beaucoup céder, beaucoup fermer les yeux alors que mon amour-propre notait assidûment la moindre marque de considération. Il n'était pas jusqu'à mon égalité avec la jeune princesse qui ne me fût à charge. Quand nous paraissions au bal habillées de la même manière, j'étais contrariée de la voir sans bijoux. Je sentais que si elle n'en portait pas, c'était uniquement pour ne pas se distinguer de moi, et cette attention même me froissait. Supposerait-on donc, me disais-je, qu'il y ait en moi de l'envie, ou je ne sais quoi de semblable à une aussi puérile mesquinerie ? L'attitude des hommes à mon égard, si respectueuse qu'elle fût, piquait à chaque instant mon amour-propre. Leur froideur ou leur gentillesse, tout me paraissait manque d'égards. En un mot j'étais la créature la plus malheureuse, et mon cœur, tendre de nature, s'endurcissait d'heure en heure. As-tu remarqué que toutes les jeunes filles vouées à la condition de pupilles, de parentes éloignées, de demoiselles de compagnie et ainsi de suite, sont d'ordinaire de viles servantes, ou d'insupportables toquées ? Ces dernières, je les respecte et les excuse de tout cœur.

[...] 

 

Alexandre Pouchkine, Un roman par lettres, traduction G. Aucouturier, dans Pouchkine, Griboïèdov, Lermontov, Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1973, p. 233-234.

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