02/09/2013
Samuel Beckett, Le dépeupleur
Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine. C'est l'intérieur d'un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l'harmonie. Lumière. Sa faiblesse. Son jaune. Son omniprésence comme si les quatre-vingt mille centimètres carrés de surface totale émettaient chacun sa lueur. Le halètement qui l'agite. Il s'arrête de loin en loin tel un souffle sur sa fin. Tous se figent alors. Leur séjour va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences de cette lumière pour l'œil qui cherche. Conséquences pour l'œil qui ne cherchant plus fixe le sol ou se lève vers le lointain plafond où il ne peut y avoir personne. Température. Une respiration plus lente la fait osciller entre chaud et froid. Elle passe de l'un à l'autre extrême en quatre secondes environ. Elle a des moments de calme plus ou moins chaud ou froid. Ils coïncident avec ceux où la lumière se calme. Tous se figent alors. Tout va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences pour les peaux de ce climat. Elles se parcheminent. Les corps se frôlent avec un bruit de feuilles sèches. Les muqueuses elles-mêmes s'en ressentent. Un baiser rend un son indescriptible. Ceux qui se mêlent encore de copuler n'y arrivent pas. Mais ils ne veulent pas l'admettre. Sol et mur sont en caoutchouc dur ou similaire. Heurtés avec violence du pied ou du poing ou de la tête ils sonnent à peine. C'est dire le silence des pas.
Samuel Beckett, Le dépeupleur, éditions de Minuit, 1970, p. 7-8.
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