20/08/2013
Jacques Roubaud, Mono no aware, Le Sentiment des choses
Élégie sur l'impermanence de la vie humaine
nous sommes sans force
contre l'écoulement des années
les douleurs qui nous poursuivent
centuple douleur sur nous
les jeunes filles en jeunes filles
bijoux chinois à leurs poignets
se saluent manches de soie blanche
trainant le rouge de leurs jupons
main dans la main avec leurs amies
mais comme floraison de l'an
que l'on ne peut freiner jamais
avant même de voir le temps
la gelée blanche sera tombée
sur les chevelures noires
comme les entrailles de l'escargot
et les rides (d'où venues ?)
creusent le rose des joues
les jeunes hommes en guerriers
l'épée courte à la taille
l'arc ferme dans les mains
sautent sur leurs chevaux bais
aux selles parées d'étoffes
et vont partout triomphant
mais ce monde de la joie
sera-t-il le leur toujours ?
les jeunes femmes ferment leur porte
qui glissent plus tard doucement et dans le noir
ils retrouvent leur bien aimée
les bras durs serrent les beaux bras
hélas que ce sont peu de nuits
pour eux dormir emmêlés
avant que bâton au flanc
ils vacillent sur les routes
moqués ici haïs là
et ce sera pour nous ainsi
on peut pleurer sur sa vie
rien n'y fait
(envoi)
souvent je pense
ah si je pouvais toujours
être le roc éternel
hélas chose de ce monde
je ne peux éloigner l'âge
Jacques Roubaud, Mono no aware, Le Sentiment des choses cent quarante trois poèmes empruntés au japonais, Gallimard, 1970, p. 29-30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, mono no aware, le sentiment des choses, Élégie, impermanence de la vie humaine | Facebook |
Les commentaires sont fermés.