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15/07/2011

Roger Bissière, T'en fais pas la Marie

 

 

bissouricoup-1.jpegJ’ai horreur de tout ce qui est systématique.

De tout ce qui tend à m’enfermer dans des barrières.

Ma peinture est l’image de ma vie.

Le miroir de l’homme que je suis.

Tout entier avec ses faiblesses aussi.

Devant ma toile je ne pense pas au chef-d’œuvre.

Je ne pense même pas au résultat.

Je me berce d’histoires improbables et je mets des couleurs dessus.

Ces couleurs et ces formes n’ont d’autre désir que d’être celles de mes rêves.

De mes joies et de mes peines.

Je vous les livre telles que je les ai créées.

Je n’ai point honte de leurs faiblesses ni d’orgueil de leurs réussites.

Les unes me paraissent aussi émouvantes que les autres.

La perfection d’ailleurs serait inhumaine.

Un tableau sans défaut perdrait son rayonnement et sa chaleur.

Il cesserait d’être l’expression vivante et concrète d’un homme.

D’un homme qui ose se dresser devant vous tel qu’il est vraiment.

Et non pas tel qu’il voudrait être.

Mes tableaux ne veulent rien prouver ni affirmer.

Ils sont la seule façon en mon pouvoir

de restituer des émotions indicibles autrement.

Je peins pour être moins seul en ce monde misérable.

Je suis un être vivant qui s’adresse à d’autres êtres vivants.

Pour avoir moins froid.

Peu de choses au monde, voyez-vous, demandent autant de sincérité que la peinture.

Elle est un miroir fidèle, le peintre s’y reflète tout entier.

Tel qu’il est, sans masque.

Si d’aucuns veulent mentir, cacher leurs faiblesses, imiter des émotions qui ne sont pas les leurs, le tableau les trahit et les dévoile.

Les masques s’avèrent dérisoires.

 

imgres.jpegIl n’est pas de peintre valable sans acceptation du danger.

Le danger est la condition même de toute création plastique.

Un tableau n’est pas la somme de nos expériences.

Mais une aventure toujours renouvelée.

Une bataille dont l’issue est toujours imprévisible.

Où nous risquons de tout perdre.

Et pourtant celui qui peint ne saurait perdre ou gagner  à moitié.

Il en est de la peinture, comme du tir à la cible.

Si on manque le centre, peu importe de quelle distance on l’a manqué.

Rater le train d’une seconde ou d’une heure c’est tout comme.

Aussi je redoute l’à-peu-près.

Je m’y refuse dans la mesure de mes moyens.

Je tâche de pousser mon tableau jusqu’à la limite de mes forces.

Les éléments qui composent toute création plastique sont indissolubles.

Si dans la texture du tableau il subsiste un seul trou, tout s’écroule.

Mais les batailles perdues sont souvent les plus glorieuses.

Elles ont la noblesse que le péril accepté confère à toute chose.

La grandeur du jeu de la vie et de la mort.

La plus beau tableau du monde est d’ailleurs une défaite.

Car la réalisation est toujours inférieure à la conception.

 

Bissière, texte écrit pour l’exposition Bissière d’Endhoven (Pays-Bas, décembre 1957-janvier 1958), dans T’en fais pas la Marie, écrits sur la peinture 1945-1964, Textes réunis et présentés par Baptiste-Marrey, Le Temps qu’il fait, 1994, p. 37-39.

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