14/02/2021
Julien Gracq, Nœuds de vie
Photo Jacques Boislève, Gracq à Florent-le-Viel
Chaque année voit s’amaigrir et s’étioler autour des bourgs les jardins potagers qui leur faisaient une tendre ceinture verte, bénignement gonflée de sucs comestibles. Le Français de 1978, qui consent encore, comme l’Américain, à pousser la tondeuse sur la pelouse de son bungalow, se refuse désormais à faire pousser ses légumes. Le contact vital avec le sol de la main qui plante et qui désherbe, le bonheur physiologique modeste et pourtant épanoui qui naît du don libéral de l’eau à le terre sèche, celui qui s’attache au guet de la pousse verte crevant le sable du semis, à la vrille du haricot qui monte décorer sa rame, tout cela s’éloigne de nous peut-être sans retour. Le plus comblant, le plus luxuriant des métiers bénévoles, où une vie s’attache à nourrir, à guérir, à protéger, à aérer d’autres vies, naguère encore distraction enrichissante du plus grand nombre, disparaît au moment même — et on serait tenté de dire dans la mesure où — l’adjectif culturel vient fleurir toutes les lèvres, sans parler des textes officiels.
Julien Gracq, Nœuds de vie, Corti, 2021, p. 45.
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