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23/04/2016

Christian Prigent, La Vie moderne


                                                                           christian prigent,la vie moderne,une petite panne,sexe

 

                        (une petite panne)

 

Joue la moderne un peu question sexe et va

Pas t’écouter cuvette auto-déplora

Triste ô pâle ahuri touriste à pas sa

Voir à quel sein vouer tes desiderata.

 

C’est fête la fesse et la chair non oui oh

Oui je dis j’obtempère et si mon petit

Doigt va dans des trous gais goûter le coulis

Des perplexités ça va ça va mollo

 

La libido (zéro alibi : au trot !),

Mais le vache accroc c’est madame qu’on pâme

À ne pas savoir où l’immiscer son âme

Parmi l’incarnate promiscuité, no ?

 

Christian Prigent, La Vie moderne, un journal,

P.O.L, 2012, p. 57.

14/02/2013

Christian Prigent, La Vie moderne —recension

(à un poète)

 

C'est quoi mecton ton identité rock et tu

la construis comment ta postérité ? Vu

Vite fait dans les actus ou zig zag zap

Pé partout jusqu'à l'épileptique clap

 

De fin ? People sur(face)nooké, non ? Plu

Tôt le strip absent Maurice Blanchot du

Paf ? Désaffecté de la nébuleuse Hype ?

No picturale youtubiquité ? Aïe p

 

As facile assurer face ou pile une i

Mage au choix pur poète incrusté en marge

Ou survoltant overlooké star slam i

Cône à "roupies fan d'effet sexe au sens large.

 

Christian Prigent, La vie moderne, P. O. L, 2012, p. 137.

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                                  Une représentation de la société

 

   La Vie moderne, ce sont dix séquences titrées — la société, la politique, la santé, l'amour, le sport, les sciences, la gastronomie, nature et climat, la mode, la culture —, chacune contenant des poèmes (5 pour la politique, 17 pour la culture) de trois quatrains de onze syllabes. Le livre s'ouvre sur un extrait de la quatrième satire de Juvénal (celle qui rapporte l'anecdote du turbot monstrueux offert à César), qui annonce fermement la véracité de ce qui suivra, annonce reprise dans le poème donné en avant dire : « Calliope, assis  ! vazy ! hop ! pas de bel / Canto sur la lyre : ici c'est du réel ». Après la dernière séquence, un "Portrait de fin" est précédé d'une citation de Blaise Cendrars : « Et le soleil t'apporte le beau corps d'aujourd'hui / Dans les coupures de journaux / Ces langes », qui suggèrent ce qu'est le matériau de La Vie moderne, ce que confirme la quatrième de couverture : les thèmes retenus, et le vocabulaire pour une bonne partie, sont empruntés aux rubriques des journaux, « chacune recomposée en vers satiriques (..) pour dire, bouffonnement, une stupéfaction un peu effrayée. »

   Comment utiliser ce matériau ? Christian Prigent s'est expliqué autrefois sur sa pratique du "cut up"1 et il y revient dans L'archive e(s)t l'œuvre e(s)t l'archive ; pour ne pas tout citer de cet essai2, je retiens la description des étapes de la construction d'un livre :

              Je suis toujours parti de documents (écrits ou images). Ensuite : extraction     des documents de leur contexte [ici, journaux] ; insertion dans un autre contexte (le texte en cours) ; articulation à une composition d'ensemble ; et, la plupart du temps, transformation par diverses manipulations rhétoriques, descriptions décalées, commentaires méta-techniques, déplacements homophoniques, etc.

   C'est ce qui est mis en œuvre dans La Vie moderne, qui présente un tableau sombre de la société d'aujourd'hui, attachée à des riens, auto-destructrice, ouverte à la sottise, satisfaite d'elle-même ; entendons ce qui est écrit : la société n'est pas que cela, mais l'infantilisme s'étale et c'est ce que Prigent saisit : au lecteur de réfléchir sur des causes. Son propos n'est pas d'un sociologue et il utilise d'autres techniques, comme je l'ai rappelé en le citant. Ses matériaux, ce sont les articles de journaux dont il extrait en particulier le vocabulaire : il est impossible de lire la presse sans y trouver quantité de mots anglais ; rien de nouveau depuis le Parlez-vous franglais d'Étiemble paru en 1964, si ce n'est que tous les domaines sont touchés et, surtout, que la distinction exige l'emploi de l'anglais pour parler d'actes communs de la vie quotidienne et de ce qui concerne le corps et ses gestes. Il y a, souvent, drôlerie par l'accumulation — ainsi, titré (pour vos étrennes) : « For Booz : amazing increase in thickness / of his penis (pin) up to 30 with our / Miracle pills [etc] »—, mais en même temps mise en scène avec une portée politique de ce qu'est un mode de vie ; cet aspect est d'autant plus net que l'emprunt à l'anglais renvoie aussi à des pratiques qui se répandent depuis peu, par exemple celle qui fait l'objet d'un poème titré (bedazzle your vagina) — pratique décrite sur internet.

   Les seuls relevés du vocabulaire (qu'il ne s'agit pas de multiplier, comme l'avait fait Étiemble pour "défendre" le français) ne suffiraient pas pour faire entendre la bouffonnerie des discours dominants dans la presse. L'essentiel est à mes yeux dans le travail du vers : on y reconnaît vite une « virtuosité pince-sans-rire »3, analogue à celle des Grands Rhétoriqueurs. Les vers sont des hendécasyllabes, mais cela n'empêche pas que deux, dans un poème, soient des décasyllabes et, clin d'œil, quand un vers d'un quatrain est un alexandrin, un autre, qui rime ou non avec lui, n'a que dix syllabes : le compte est bon. Relevons encore que les possibilités d'alternance de rimes dans les trois quatrains de chaque poème sont systématiquement explorées ; par exemple, aabb-abba-abab (p. 55), aabb-abab-aabb (p. 56), aaaa-abba-abba (p. 57), abab-abba-abab (p. 58), etc. À partir de ce cadre strict, appartenant à la poésie classique (que Prigent n'a jamais rejeté) — même les majuscules en début de vers, signe du poétique, sont respectées —, le vers est réinventé.

   Compter les syllabes, pratique rigoureuse, n'exclut pas les jeux possibles (comme on parle du jeu de deux pièces) : "etc" vaut pour une syllabe, le signe "=" pour deux, "ADN" pour une, mais "Pvc" pour trois et "50%" pour cinq — et "Li/1" se lit bien "lien" et "Q" "cul". Si cela est nécessaire une diérèse, indiquée par un tiret au lecteur, est introduite dans un mot pour gagner une syllabe ("la pertubati—on") ou une des anciennes licences permet de ne pas dépasser le nombre de 11 ("Ô pro de l'excellence excite encor moi"), de même que l'élision ("en-dsous). Se lisent des rimes riches "vidéoscope a / télescopa"), d'autres cocasses ("aux zones / ozone"), des quatrains monorimes ("va / déplora / à pas sa / desiderata" ) et des rimes avec inversion phonétique ("or" rimant avec "pro"). Dans beaucoup de quatrains, le mot à la rime enjambe sur le vers suivant, ce qui ne nuit pas à l'autonomie du vers, même si certaines coupes rendent — ce qui est évidemment volontaire — la prononciation ardue : 

ou / Trageusement épurée quasi même u

         Niverselle. Et si mère allaiteuse ou né

         E génétiquement [...]

   Beaucoup ont une fonction critique ; un exemple : dans le premier poème "(on mange quoi demain ?)" de la séquence "la gastronomie", la rime "ca / ca" exprime nettement ce qu'il en est de la cuisine proposée — on en relèvera quantité d'analogues. Le mot coupé à la rime, en écho à un mot du vers, exprime un jugement sur ce qui vient d'être dit ; ainsi dans "(journée des femmes)" :

« Aux femmes faudrait leur lâcher la grappe » ou

« Lui couper les choses à ce con » c'est con

Tradictoire au plan physiologique non ?

  

   L'action critique s'exerce par la néologie (cf l'ironique "hormon mâle"), par formation de mots valises comme "emberlifricotées", "gesticulaction", "youtubiquité", etc. ; elle passe aussi très souvent par le caractère jubilatoire des répétitions sonores ; parmi d'autres, ce vers avec une allusion à La Fontaine, "Dans ces moments maman heureux amants vous", ou cette première strophe de "(une fille pop)" dans la séquence "l'amour" :

Flic floc c'est tip top la fille pop en botte

Qui flippe hic & nunc en spot splash sous la flotte

Mais va surtout pas t'y flotcher les crocs ! stop !

C'est pas ton lopin ! Pas d'galop ! Gare au flop !

  

     D'autres procédés sont mis en œuvre, les poèmes accueillant aussi bien le verlan ("à donf") et l'anglicisme familier ("dope") que le moyen français ("emmi", "ire"), des formes graphiques chères à Queneau ("xa", "steu") ou qui évoquent des prononciations dites "populaires" avec accentuation du e en fin de mot ("ça dou / Bleu"), des formules propres à la ballade ("Prince si...."), etc. Bref, c'est toute la langue qui est en émoi, et pour que les emprunts à l'anglais apparaissent dans leur pauvreté, Prigent introduit dans La Vie moderne des fragments de latin — souvent ; reprenant même pour titre du premier poème, dans la séquence "la santé", la formule de Descartes, "larvatus prodeo" —, d'allemand, d'italien, d'espagnol — citant alors Thérèse d'Avila.

 

   Le discours critique se construit aussi à partir d'un prélèvement de matériaux qui, sortis de leur contexte (la petite annonce) et légèrement modifiés, deviennent une charge : comment entendre ce qu'est l'amour quand on lit ceci :

Moi debout costume anthracite vous as

Sise et féline oh ce sourire si as

Sassin sans retenue sur 3 w

Vudans le métro point com on se télé

 

Phone ?

 

   Dans certains cas, la satire passe simplement par le descriptif  de ce qu'annonce le titre du poème ; ainsi pour (Auschwitz Tour), dans la séquence consacrée à la culture, les quelques éléments retenus suffisent pour dire ce qu'est la marchandisation de l'horreur4. C'est encore « le monde vrai » que celui de « wiki cul / Ture » ou celui de la proposition d'élevage dans chaque foyer d'un porc — « et chacun son azote ». On lira dans la même séquence sur la gastronomie, sous le titre ironique (hippisme, histoire & gastronomie), un rappel de ce qu'est Poutine :

ça / Vous ravigote l'idéologie : mords

Poutine en treillis torse à poil sur roncin

Sibérien car c'est du steak de russe mort

Sous sa selle ou hachis tchétchène au cumin.

 

   Ces quelques exemples pour montrer que Christian Prigent, comme dans ses précédents livres, appelle un chat un chat et poursuit le lent travail pour transformer les représentations qui nous sont proposées, ici dans la presse. On pourra trouver que ses vers se rapprochent souvent des vers de mirliton : on a reproché la même chose à Queneau... Ils sont d'une grande efficacité pour dire dans la parodie quelque chose des ruines d'une société dominée par "le marché".


 Christian Prigent, La Vie moderne, P.O.L, 2012 ; L'archive e(s)t l'œuvre e(s)t l'archive, "Le lieu de l'archive", Supplément à la Lettre de l'IMEC, 2012.

 

 

 



1 Parmi d'autres essais, on lira "Morale du cut-up" dans Une erreur de la nature, P.O.L, 1996.

2 Cet essai a été écrit à l'occasion du dépôt de ses archives à l'IMEC.

3 Christian Prigent, Une erreur de la nature, op. cit, p. 10.

4  La critique de Prigent, condensée en 12 vers, a une force analogue à la page sur le même sujet, le tourisme à Auschwitz, de Georges Didi-Huberman dans Écorces (éditions de Minuit, 2011).

30/06/2012

Christian Prigent, La Vie moderne (L'amour : une idylle au club)

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L'amour : 13 (une idylle au club)

 

Entre pomme et pamplemousse on eut le miel

Des paroles : toi collant noir&blanc moi

Casque de moto — hop ! parti pour la vie

En allure chat de gouttière à l'éternel

 

Appel du regard univoque. Au bleu tur

Quoise et soleil Red Sea tes cheveux trempés

Roux et tes trous rampants sur le fond caché

Magiquement : ah si raide, ce lieu d'ur

 

Gence on vit l'intérêt de nos synergies

Rutiler (Ô ma grenadine for ever) !

Ô mon glamour gredin à jamais surgi

Flic, flash in the middle of the picture !

 

Christian Prigent, La Vie moderne, P. O. L., 2012, p. 67.