Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/03/2011

Christian Prigent, Météo des plages

 

christian prigent,météo des plages

                                                            (flash-back 1955/1948)

Tout n’est que cendre désormais tout n’est que cendre mais

De cette cendre sort un qui porte sa peau et le couteau

Pour couper soi de soi (qui sera soi tu ne le sais

Pas : la tête est encore infime et blême dans des hauts).

 

Dans l’épaisseur de suie de mélancolie, va, accélère — c’est

Au cinéma, les brutales nuées roulent des manches sur

Des lividités inapaisées. Sens la peau de tes joues fur

Ieusement tirer les brides, hennir dans les cuirs ou corsets :

 

Tu es dans le baquet des épidermes bleus, des porcelaines de genoux,

Des ventres concaves, des os de transparences. L’aigre mot

De rance te rince de vomissures. Ou c’est (plage) ta mère sous

 

L’œuf, l’ardeur safran, le poids de paillasson des nuées,

Les seins d’été dans un bonnet d’âne épouvantablement

Blanc que califourche minuscule dans la contre-plongée

Toi, flou de sueur ou larmes ou du blanchissement du temps.

 

Puis Madame à peau de piquetis de poule fait sa Suzanne

En cabine. Et telle icelle aux vioques dans la feuillée son

Haleine furibonde te sirène aux considérations

De basques interdites : Guarpis d’là bas, bas d’la hanne !

 

Christian Prigent, Météo des plages, roman en vers, P.O.L, 2010, p. 111.

 

Franck Venaille, C’est nous les modernes

 

Faut-il chercher à comprendre la poésie ? Oui ! mais au prix d’une lecture active et créative. Donc d’un effort certain. C’est tout le problème de la communication poétique qui est posé là, avec cette question sous-jacente : comment un poème peut-il circuler le mieux possible entre l’auteur et son lecteur ? Comment peut-il ne rien perdre de sa puissance émotionnelle, mentale, intellectuelle, en chemin ? Avons-nous le droit (nous, poètes) à l’hermétisme et au secret ? Quelle part donner à ce qui demeure à jamais indicible ? […] Faut-il donc toujours comprendre la poésie ? Je crois que ma réponse est négative. Je demande à ce que l’on se méfie de l’impérialisme du sens, à ce qu’on se laisse guider par le rythme, la construction illogique, la langue dans tous ses états, l’humour passé et à venir, une dose de rêve et accepter de pactiser avec l’incompréhensible.

Franck Venaille, C’est nous les modernes, Flammarion, 2010, p. 153-154.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets

 

Aminta, que se cubrió los ojos con la mano

 

Lo que me quita en fuego, me da en nieve

lo mano que tus ojos me recata ;

y no es menos rigor con el que mata,

ni menos llamas su blancura mueve.

 

La vista frescos los incendios bebe,

y, volcán, por la venas los dilata ;

con miedo atento a la blancura trata

el pecho amante, que la siente aleve.


Si de tus ojos el ardor tirano

le pasas por tu mano por templarle,

es gran piedad del corazón humano ;

 

mas no de ti, que pude, al ocultarle,

pues es de nieve, derretir tu mano,

si ya tu mano no pretende belarle.

 

À Aminta, qui s’est couvert les yeux de la main

 

M’ôte le feu, neige me fait faveur

la main sous qui tes yeux ont disparu ;

n’est pas moins dure avec qui elle tue,

ni moins de flammes anime sa blancheur.

 

Le regard boit d’incendies la fraicheur,

et volcan aux veines les distribue ;

le cœur amant d’une peur prévenue,

craint tout ce blanc, car il le sent trompeur.

 

Si de tes yeux le brasier souverain,

tu le passes en ta main pour l’apaiser,

c’est là grande pitié du cœur humain ;

 

mais pas de toi, car il peut, éclipsé,

puisqu’elle est neige, liquéfier ta main,

si cette main ne veut pas le glacer.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets, Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, édition bilingue, Poésie/ Gallimard, 2010, p. 134-135.