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06/03/2020

André Gide, Souvenirs de la Cour d'Assises

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C’est un gros homme rouge, épais, carré d’épaules, et sans cou. Ses mains sont gourdes. Il porte un col bas, une petite cravate grise ; les cheveux demi-ras sur un front bas. Il a quarante-sept ans, a fait la campagne de Madagascar où il a pris les fièvres paludéennes ; il boit par accès et a été sujet à quelques hallucinations ; l’examen médical reconnaît sa responsabilité atténuée. Mais depuis qu’il est au service des postes, sa conduite est irréprochable — et il était à jeun lorsque le matin de 2 avril, il a soustrait du bureau une enveloppe contenant treize mille francs. Il reconnaît les faits, s’en excuse et ne cherche même pas à les expliquer. Tous les jours, il était appelé à manier des sommes considérables. (...)

Mais cette enveloppe de treize mille francs, tout à coup, il la met dans sa poche ; il quitte la cabine de chargements en disant à ses collègues qu’il va aux cabinets ; prend tranquillement son paletot et son chapeau, et comme il est midi et demi, personne ne s’étonne de le voir sortir. Dehors il ne se sauve pas, il ne se cache de personne ; il va dans un bordel voisin, dépense deux cents quarante-six francs à régaler la maisonnée ; puis se réveille tout penaud, pour rapporter à la direction le reste de la somme et s’engager à rembourser la différence.

Le jury rapporte un verdict négatif ; la cour l’acquitte.

 

André Gide, Souvenirs de la Cour d’Assises, dans Journal, 1939-1949, Souvenirs, Pléiade/Gallimard, 1954, p. 636-637.

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