29/09/2016
Lautréamont, Poésies I
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
[…] La poésie personnelle a fait son temps de jongleries et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquement interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l’avortement du grand Voltaire.
Il paraît beau, sublime, sous prétexte d’humilité ou d’orgueil, de discuter les causes finales, d’en fausser les conséquences établies et connues. Détrompez-vous, parce qu’il n’y a rien de plus bête ! Renouons la chaine régulière avec les temps passés ; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n’a pas progressé d’un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes Têtes-Molles de cette époque. Chateaubriand, le Mohican-Mélancolique ; Senancour, l’Homme-en-Jupon ; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur ; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué ; Edgar Poe, le Mameluck-des-Rêves-d’Alcool ; Maturin, le Compère-des-Ténèbres ; George Sand, l’Hermaphrodite-Circoncis ; Théophile Gautier, l’Incomparable-Épicier ; Leconte, le Captif-du-Diable ; Gœthe, le Suicidé-pour-Pleurer ; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire ; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante ; Lermontov, le Tigre-qui-Rugit ; Victor Hugo, le Funèbre-Échalas-Vert ; Mickiewicz, l’Imitateur-de-Satan ; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle ; et Byron, l’Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Lautréamont, Poésies I, dans Lautréamont, Germain Nouveau, Œuvres complètes, édition P.-O. Walzer, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 268-269.
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